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Législation: Des constituants aux idées courtes Pathé MBODJE, Rédaction centrale, Le Devoir

Le débat sur le 3ème mandat et le souvenir douloureux de Me Babacar Sèye montrent à souhait la sécheresse de la pensée au Sénégal : depuis 2010, le landerneau politique et intellectuel n’a pas progressé dans sa densité morale qui reste scotchée autour de la même thématique, incapable qu’il est d’inventer du neuf pour une société en transition depuis 2000.

Et encore là, rien de nouveau sous le soleil des tropiques : en 2020 comme en 2010, praticiens sociaux et experts de tout acabit ressortent sempiternellement le même disque enrayé : oui, non. Oui, il peut ; non, il ne peut pas. Les assises dites nationales ont cherché à innover et ses représentants pour le renouveau social ont été écartés en 2012 ; leur participation au pouvoir sans le pouvoir a servi à mieux combattre la générosité intellectuelle de l’équipe de Amadou Makhtar Mbow. Les événements de la Toussaint 2020 démontrent à souhait la vénalité du politique qui a abdiqué face aux lambris du palais et à ses plaisirs de bouche…et de poche.

Le Sénégal et ses experts ont montré leurs limites dans l’incurie collective de législateurs incapables d’imaginer une loi définie et définitivement calculée pour clore l’éternel débat sur le 3ème mandat présidentiel. Cassandre, Madame Soleil ou Dames de compagnie, tous démontrent le caractère pro tempore d’une démocratie que tout le monde nous envie mais qui favorise au fond le crétinisme social de populations déchirées entre une volonté d’indépendance et le retour des bannis d’hier : la parcimonie dans l’affection du vote oblige l’entrant à faire appel aux battus d’hier exposés sous les feux de la rampe, devant une équipe de vainqueurs regrettant presque sa victoire.

Le Sénégal connait ainsi près de 300 formations politiques  pour une population électorale tournant à un peu plus du tiers de la population (5 millions vs 16). Ces électeurs n’accordent pas plus leur confiance infinie au politique, comme partout ailleurs, le questionnement tardant souvent à trouver des réponses claires et précises devant l’ampleur et la complexité des problèmes qui assaillent l’Humanité. “De la discussion politique à la manifestation de rue, du vote à la consommation engagée, de la grève des urnes à celle de l’impôt ou à l’Internet militant, cet ouvrage (de Mayer) porte un regard novateur sur une question centrale en démocratie : la “participation politique”. Une participation foisonnante, multiforme, contournant les canaux institutionnels, débordant les frontières de l’État nation, mais toujours inégalitaire. “, lit-on dans la présentation de l’ouvrage de Mayer de 2010 (Sociologie des comportements politiques, Armand Colin, 2010).

La société joue à se faire peur

La société devient alors elle-même sujet et actrice et impose sa volonté au jeu politique qu’elle édulcore en répartissant sa confiance, sans préjudice de la reprendre si nécessaire (Égypte, Brésil, Turquie, Mouvement “Indignez-vous !”, etc). Lorsque la “Documentation française” invoque, parlant de la cohabitation en France, “la volonté des électeurs qui, à trois reprises (1986, 1993, 1997), ont imposé cette situation au sommet de l’État”, on croit relever désormais le primat du social sur le politique ; dorénavant, peut-on en conclure, le peuple façonne et modélise sa politique qu’il impose aux acteurs qui font de la politique une profession. Le Sénégal des Locales de 2009 en est un bel exemple lorsque le peuple décide d’ériger des garde-fous devant Me Wade en élisant ceux qui s’opposaient mollement, en les armant au cours d’Assises rappelant les conférences nationales post-chute du Mur de Berlin avec l’arrivée de la société civile, des mouvements associatifs et autres bonnes volontés. Et ceci aussi bien en amont qu’en aval, c’est-à-dire avant, pendant et après, imposant dans les faits les mêmes forces sociales à la réalité qui émerge, forces hier antagonistes aussi bien sur le plan de la densité physique (membership) que morale (différences idéologiques, politiques, philosophiques). Et pourtant ces forces antagonistes d’hier sont appelées aujourd’hui à collaborer ! Abdou Diouf avait une longueur d’avance en 1991 en initiant le gouvernement de majorité présidentielle élargie dès le début de la nouvelle réalité sociale cohabitationniste vérifiée aux Etats-Unis (Nancy Pelosi), en France mitterrandiste et en Russie eltsinienne.

Faut-il cependant le remarquer en le regrettant ? La société se crée de nouvelles réalités, invente son héros pour articuler ces nouvelles dimensions, refuse cependant de lui donner les pleins pouvoirs, fragilisant ainsi la dynamique sociale. Cette problématique est au cœur de la réalité sociale qui prend ses racines sur le Sénégal. La réflexion qui suit veut inviter  à la réaction d’intellectuels et englobe toutes ces préoccupations épistémologiques pour inciter à chercher à comprendre les motivations profondes qui ont marqué le Sénégal dans sa longue marche vers la démocratie.

Ce ramollissement cérébral frappe apparemment nos législateurs devenus partisans du moindre effet : il caractérise la société avec sa propreté du canard qui ne veut point faire la part du feu entre le normal et le pathologique, le sacré et le profane ; l’unanimisme autour de Kéba Mbaye a été fatal à Me Babacar Sèye : le consensus avant la publication des résultats contenait en lui même les germes de sa contestation par des antagonistes croyant leur heure arrivée.  La lenteur des opérations fit croire à une manipulation. La réaction imaginée et dévoilée en Cour fut de simuler une réaction violente pour ramener le pouvoir à la réalité des chiffres : Me Babacar Sèye paya de sa vie ; le Sénégal a frôlé le chaos le 23 juin 2011 parce que la loi mal faite a donné sujet à interprétations toutes aussi vaseuses les unes que les autres sur les boulevards d’ambiguïtés ouverts par la Loi fondamentale sur la durée et le nombre de mandats offerts au président de la République : rien, depuis, et malgré les réformes, ne peut permettre, hors de tout doute, d’affirmer quelle est la possibilité qu’un président sénégalais fasse deux mandats et deux seuls.

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