La paix au Sahel se discute à Aix
Grand colloque de Science Po Aix- Thème : Sécurité internationale
Instabilités sur les frontières Sud de l’Europe :
Questions de sécurité dans la Région Sahel–Maghreb
Mankeur Ndiaye
« La Région Sahel–Maghreb
constitue un espace
d’importantes circulations
migratoires mais aussi
une voie d’acheminement
d’armes, de drogues (cocaïne,
cannabis etc.) ».
Nous avons là trois espaces géopolitiques interconnectés (Europe, Maghreb et Sahel) aux frontières de plus en plus floues, « indéterminés » en vérité, avec des flux de populations de plus en plus intenses, de plus en plus dangereux et de plus en plus non maîtrisés. Comme le relève bien la note conceptuelle : « La Région Sahel–Maghreb constitue ainsi avec un espace d’importantes circulations migratoires mais aussi une voie d’acheminement d’armes, de drogues (cocaïne, cannabis etc.) ».
Douze kilomètres (12km) séparent l’Europe du Maghreb ; le Maghreb et le Sahel font corps et la crise libyenne de 2011 a eu un impact désastreux dans l’un des plus grands pays du Sahel (le Mali) où se déploient les grands terroristes, djihadistes, islamistes, où se déploie également une mission de maintien de la paix des Nations Unies (MINUSMA) avec un budget de plus d’un milliard de dollars qui se partage l’espace depuis quelques mois avec une société militaire privée (Wagner) en pleine expansion et avec le départ des forces françaises Barkane.
La même situation comme en Centrafrique est dupliquée au Mali, à la seule différence que les groupes rebelles qui déstabilisent la RCA depuis des décennies ne sont pas considérés comme des groupes terroristes, djihadistes et islamistes.
Le Sahel est aujourd’hui plus qu’hier une grave source de préoccupations et pour l’Europe et pour le Maghreb. Le blocage de l’Union des Maghreb Arabe (UMA) depuis maintenant bientôt trente ans impacte négativement sur la stabilité au Sahel devenu un champ ouvert de confrontations diplomatiques et de rivalités transatlantiques.
Donc, lutter contre les instabilités à la frontière Sud de l’Europe nous amène à nous interroger d’abord et avant tout sur le concept de « frontière » dans ses différentes acceptions géographiques, géopolitiques, juridiques ou en termes de représentations collectives et imaginaires. Exemple : La frontière Espagne/Maroc.
La France, l’Espagne et l’Italie, par la culture, l’histoire d’abord, la proximité géographique sont les principaux pays des pourtours de la Méditerranée qui ont des liens plus profonds avec les pays du Maghreb et du Sahel. Leurs politiques, parfois divergentes, voire concurrentes, affectent la relation globale Europe/Maghreb/Sahel, nonobstant les efforts d’une approche commune européenne à travers divers mécanismes et cadres de concertations et de coopérations qui vont au-delà du simple espace européen.
Je pense notamment au dialogue méditerranéen de l’OTAN lancé depuis 1994 entre les 28 États membres d’alors et les 7 pays bordant la Méditerranée (les 5 pays de l’UMA plus l’Egypte, Israël et la Jordanie). Il y a aussi la coopération à travers l’Union pour la Méditerranée (U.M), le dialogue 5+5, etc.
Quelle appréciation pouvons-nous faire sur l’U.M et ses réalisations ? A-t-elle répondu aux attentes ? Il me semble que non.
Les problématiques anciennes demeurent plus que jamais actuelles et il s’y ajoute les défis nouveaux dans un contexte de mondialisation avancée de crise énergétique et alimentaire aiguë exacerbée par la guerre en Ukraine et les changements climatiques.
L’immigration sahélienne au Maghreb et l’immigration sahélo/maghrébine en Europe demeurent de sérieuses préoccupations.
M. Ali Bensâad dans son étude sur « Les migrations entre le Sahel et le Maghreb, un enjeu de stabilité, de développement et de démocratisation » notait, à juste raison, que «l’immigration subsaharienne, pour l’essentiel, commence d’abord et surtout le Maghreb, à travers un mouvement qui s’est construit plusieurs décennies avant que n’apparaissent les routes terrestres et maritimes ‘clandestines’ vers l’Europe ». Elle était déjà présente et importante au Maghreb notamment dans sa partie saharienne alors même que des pays européens comme l’Italie et l’Espagne, devenus destination privilégiée de l’immigration irrégulière, étaient encore, et pour longtemps, exclusivement des pays d’émigration…
Or, avec l’apparition du transit vers l’Europe par le Maghreb, on a assisté à une ‘européanisation’ de la question des migrations subsahariennes et à la prise en main par l’Europe…
Un autre facteur d’instabilité grave lié à l’immigration : le trafic des êtres humains qui demeure l’une des formes de crime organisé les plus lucratives ; elle rapporterait aux grands criminels en Europe plus de 3 milliards de dollars par an et touche presque tous les pays du monde qu’ils soient des pays d’origine, de transit et de destination.
S’y ajoutent d’autres types de trafics aussi criminels : trafic d’organes, trafic de drogues et d’autres substances psychotropes, le trafic de médicaments. On ne peut évidemment pas évoquer les questions de sécurité dans la région Sahel/Maghreb sans souligner le terrorisme (attentats, assassinats, enlèvements avec demande de rançons), le trafic d’armes et de minutions qui alimente les guerres et les conflits dans la région.
Je suis donc d’avis qu’il est urgent de mener une réflexion stratégique rénovée pour bâtir des relations nouvelles entre l’Europe, le Sahel et le Maghreb, en accordant une place importante aux changements climatiques et à la désertification et au financement du développement de cette région névralgique pour la stabilité en Europe. Cette réflexion intègre naturellement la redéfinition d’une politique européenne de contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne en partenariat actif avec les États de transit, en prenant dûment en considération les situations conflictuelles complexes en Libye et au Mali, l’émergence des Sociétés militaires privées étrangères à la région, les conflictualités non résolues depuis des décennies dans l’espace maghrébin et les dissensions intermaghrébines qui impactent sur les dynamiques dans le Sahel, la mort clinique du G5 Sahel, et la faiblesse des politiques de stabilisation de la zone sahélienne marquées par un défaut ou un déficit d’articulation harmonieuse des 3 D (Défenses, Diplomatie, Développement).
Ambassadeur Mankeur NDIAYE,
ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal,
ancien Représentant Spécial du Secrétaire général
des Nations-Unies en Centrafrique.