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La génération 88 dans l’évolution de la démocratie sénégalaise: Les précurseurs de la première alternance au pouvoir ? Par Baye Saliou THIAM

1988 est une année repère dans l’évolution de la démocratie sénégalaise. Au-delà des violences post-électorales, de l’année blanche et des emprisonnements massifs que ces violences ont occasionnés, cette année-là reste une clé de compréhension des grandes conquêtes de notre démocratie. C’est vrai, comme on a l’habitude de le dire, chaque génération avec sa mission et ses combats, mais il y a des générations dont la mission transcende plusieurs générations. C’est vrai que mai 68 est, à juste titre, considéré comme la plus grande révolte estudiantine de notre histoire, mais ce que la génération de 88 a fait pour le pays est d’une fécondité rarement égalée. La véritable rupture qui a produit le déclic psychologique dans la tête des Sénégalais en les persuadant que la clé de leur destin est entre leurs mains et qu’ils peuvent changer le cours de leur histoire est arrivée en 1988. Mais que reste-t-il de l’esprit de 88 ? Les acteurs de 88 sont-ils toujours aussi enthousiasmés par la politique ou ont-ils été désabusés par la perversion de leur idéal ?  1988 peut-il continuer à inspirer le combat politique aujourd’hui ?

El Hadj Amadou Sall - Talla Sylla - Le Devoir
El Hadj Amadou Sall – Talla Sylla

Quand toute une génération se mobilise pour dire non et pour contraindre les décideurs à changer de cap, elle revendique clairement son droit de participer aux affaires de la cité. Or, il n’y a pas de meilleur levier pour la démocratie que la participation des citoyens en général et des jeunes en particulier. On pourra toujours ergoter sur la violence qui a caractérisé la rédemption politique de la jeunesse de 88, mais comme toujours, on passe sous silence la raison sous-jacente qui agissait sous la surface tumultueuse des évènements de 88.

La violence est toujours condamnable mais elle toujours été fécondatrice des grands progrès de l’humanité ; le reconnaître n’est point faire l’apologie de la violence. Il y a quelque chose de grand qui se tramait et peut-être même à l’insu de la plupart des protagonistes : c’est une redéfinition de notre idéal démocratique. Une démocratie ancrée dans la Nation et surtout dans sa jeunesse à la place d’une démocratie extravertie, destinée à la consommation étrangère. Il fallait réveiller les adultes de leur sommeil dogmatique qui emprisonnait le jeu démocratique dans le formalisme d’un suffrage prétendu universel, mais qui ne l’était que pour les adultes.

L’endoctrinement politique des adultes en faveur du Parti socialiste (PS) était tellement fort que l’opposition de l’époque n’avait d’autre choix que de miser sur la jeunesse, notamment celle estudiantine. Choix ne pouvait évidemment être plus stratégique et, à la limite, plus opportuniste, car la jeunesse est en principe le destinataire ultime de toutes les politiques. La jeunesse est également une mine inépuisable de mécontentement et, par conséquent, un réservoir fécond de forces de contestation et de lutte.

Abdou Diouf disait, juste après avoir succédé à Senghor que « Rien ne sera plus comme avant » ; c’est exactement le sens profond des évènements de 1988 : la jeunesse a tout bonnement décidé de prendre sa place dans le jeu démocratique et d’insuffler à la politique une nouvelle vie. Ça faisait vingt ans que les jeunes n’avaient plus ébranlé l’ostracisme dont ils étaient victime ni secoué les certitudes politiques des adultes. Car depuis Mai 68, on n’avait pas assisté à un éveil de conscience aussi conquérant et exigeant. Cette jeunesse récalcitrante que, par dépit, Abdou Diouf qualifia de « jeunesse malsaine », a prouvé à la face du monde qu’être jeune n’était guère un handicap à la prise en charge de son destin politique.

 À l’époque en Afrique, la démocratie était une affaire d’élite, un système compliqué où les adultes faisaient leurs manigances pour soit s’accrocher au pouvoir, soit y être invité après avoir râlé bruyamment ou violemment. Cette fois-ci l’esprit de sacrifice, l’esprit du don de soi avait donné à la démocratie sénégalaise un autre visage. C’est vrai qu’il y a des jeunes qui, entre-temps, ont rejoint le PS au pouvoir, mais la majorité était sur le terrain des contestations non pour des desseins égoïstes mais pour un idéal.

 

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