GMT Pile à l'heure

La Ligne du Devoir

La chronique de Pape Sadio THIAM: Chroniquer politique et politique

Quelle doit être la frontière entre le journalisme chroniqueur politique et la politique ? Y a-t-il une possibilité pour le journaliste de parler de politique tout en gardant une distance objective qui lui permette de ne pas tomber dans la tentation de transformer sa plume ou son micro en arme politique ? Un journaliste a-t-il le droit d’utiliser sa tribune pour juger, calomnier ou prendre parti ?

Pape Sadio Thiam
Pape Sadio Thiam

La presse indépendante de notre pays est abondamment envahie par des chroniqueurs politiques, politologues, des experts en communication et autres spécialistes en média-mensonge qui occultent leur esprit partisan et leur politisation par des statuts usurpés ou cédés sur la base de calculs.

Leur message est à la lisière de la politique et du journalisme, à telle enseigne que leur sentence échappe à la rigueur et la rudesse implacable du débat politique et fait office d’arbitrage d’un combat auquel ils prennent déjà parti.

Cette tendance a fait que la presse ressemble de plus en plus à une belle boutique dévalisée aussi bien par ses propres propriétaires que par des brigands venus de l’extérieur.

Le processus de la mythification outrancière du travail de journalisme n’est pas étranger à ce phénomène qui prend aujourd’hui les allures d’une usurpation de territoire ou d’un détournement d’objectif. Aristote disait que le pire ennemi du vrai n’est pas le faux, mais le vraisemblable parce qu’il prend les habits du vrai alors qu’il est son contraire. Aujourd’hui, on pourrait le parodier en disant que le pire ennemi de la démocratie n’est pas la dictature, mais la démagogie ; or comme on le sait, la voie royale de la démagogie c’est la presse : les vrais démagogues ne sont pas aujourd’hui confinés dans l’étroitesse du champ politique ; ils ont investi le champ médiatique pour, à la fois, usurper le statut de contremaître de la démocratie et ne pas avoir à être la cible du discours politique adverse. Parce qu’on est nanti de la présomption de neutralité et d’extériorité, on travaille justement à ne pas l’être du tout, tout en apparaissant comme l’incarnant à merveille.

C’est très symptomatique de remarquer que tous les journalistes ex-conseillers de Premier ministres déchus du régime libéral sont particulièrement les plus virulents aujourd’hui dans la critique contre un régime dont ils ont été pourtant les « agents ».

 Où commence le travail des journalistes dans leurs critiques ? Qu’est ce qui garantit que ces ex-conseillers redevenus simples journalistes ne sont pas psychologiquement déterminés à adopter une attitude revancharde contre un régime qui leur a fait perdre un certain privilège ou certains honneurs ?

Le mythe est toujours fondateur de l’histoire, bien qu’étant lui-même a-historique, irréel ou complètement dénué de fondement dans la réalité. C’est pourquoi toute histoire a besoin d’un mythe, toute entreprise qui cherche la durée dans le temps et l’expansion dans l’espace a besoin d’un mythe fondateur et justificateur. Il y a donc un mythe d’objectivité qui colle au journaliste, et comme tout mythe, il étouffe, trahit et envoûte ceux qui y adhèrent ou y croient. C’est précisément cela le problème de la presse contemporaine : elle est victime de sa propre image. Le respect et l’admiration qu’elle suscite font qu’elle constitue désormais une sorte de caverne d’Ali Baba pour les hommes politiques et les affairistes de tout genre. Comme Ali Baba qui découvre par la formule magique « Sésame, ouvre-toi » le butin des voleurs caché dans la grotte et qui, par la suite, se fait doubler par son frère, « Qasim » le commerçant au cœur de pierre, la presse suscite une énorme convoitise et se fait souvent doubler par des individus rusés et très intéressés. Ces gens qui pressurent et pressurisent les hommes politiques en démocratie prétendent tous faire partie de la famille du journalisme.  Pire, ce sont des journalistes qui ont réussi à se poser en icônes de la presse qui cèdent souvent à la dangereuse tentation d’être des managers d’hommes politiques. C’est un secret de Polichinelle : dans la presse sont tapis des journalistes qui gèrent et défendent les intérêts et la carrière de certaines hommes politiques.

La presse est, en effet, un énorme trésor dans une société démocratique, un trésor plus lourd que celui de la caverne d’Ali Baba car elle mène à tout. Sa place enviable et sa force font que tous ceux qui aiment les raccourcis ont trouvé en elle la voie la plus courte et la plus simple de connaître une ascension politique ou de faire des affaires sournoises fructueuses. Quoi de plus simple de se faire recruter comme conseiller en communication, comme attaché de presse ou comme expert en marketing politique que se fait un nom dans l’univers du journalisme ? Dans notre pays, à l’image de toutes les démocraties, on assiste depuis quelques années à des connivences extrêmement profondes entre journalistes et hommes politiques et pire, une sorte de mutation dissimulée du journalisme en homme politique et de celui-ci en journaliste. La plus subtile façon de faire passer son opinion et son combat politiques sans courir le risque d’affronter la rudesse de l’adversité politique c’est de porter le manteau de journaliste. Chateaubriand, pour des raisons historiques bien connues, excédé par certains abus de la presse de son époque, s’était révolté par une généralisation abusive et trop sévère en affirmant que « la presse est le réceptacle de tous les ferments nauséabonds. Elle fomente les révolutions, elle reste le foyer toujours ardent où s’allument les incendies ». La formule est certes acerbe et sans doute injuste, mais elle exprime le désarroi que certains citoyens vivent face aux abus de la presse. Ces abus ont pour conséquence possible la crise politique qui résulte inéluctablement d’une illisibilité totale du champ politique. À cause du brouillage opéré savamment par des hommes de média dont la connaissance de l’opinion publique est parfois aussi nette que celle que le sociologue a des faits sociaux et des mécanismes qui les régissent, le champ politique investi par la presse politicienne est en constante ébullition.