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La Ligne du Devoir

Khalifa Sall et la scène politique: L’eau l’avait remis sur les rangs, le feu pour l’agiter davantage Fanny ARDANT

Gracié en septembre 2019, l’ancien maire de Dakar Khalifa Ababacar Sall avait décidé d’adopter la stratégie du silence, alliant audiences et visites privées. Mais les pluies diluviennes enregistrées, lors du dernier hivernage à Keur Massar, ont fait sortir le Socialiste de son mutisme et anticiper son retour inopiné sur la scène politique. Depuis lors, Khalifa Sall est en mode accélérateur. Et les derniers évènements socio-politiques engrangés par l’arrestation de Ousmane Sonko en jugent davantage.

C’est un Khalifa Sall pataugeant dans la boue en train de faire le tour des maisons sous les eaux qui a inondé les médias et réseaux sociaux. Sans s’encombrer de son staff qui l’accompagne depuis sa sortie de prison, le politicien s’est débrouillé comme un « grand garçon » pour se rendre au chevet des sinistrés de la banlieue dakaroise, de Grand-Yoff à Cambérène. Une visite de courtoisie qui ne peut tout simplement pas revêtir d’un sceau affectif. Il est permis d’aller plus loin que l’image. D’autant plus que le socialiste, gracié depuis le 29 septembre 2019, s’engouffre dans un mutisme total : pas de déclaration politique acerbe contre le pouvoir et surtout loin des projecteurs, juste des audiences et visites privées.

Mais ces averses qui sont tombées dans le pays ont étaient une pluie de grâce pour le politicien qui, d’ailleurs, en a profité pour mettre à nu l’incapacité du régime qui l’a “mis en prison”.

Tout sauf anodin, le leader de la coalition Mankoo Taxawu Sénégal a démarré sa visite dans son fief Grand Yoff.  « En ces moments difficiles, j’apporte mon soutien et ma compassion aux citoyens sénégalais impacté par les fortes pluies de ce week-end. J’invite les pouvoirs publics à trouver une solution urgente pour le règlement définitif des inondations », va-t-il déclarer, au moment le chef de l’Etat Macky Sall exhortait son ministre de l’Intérieur d’alors Aly Ngouille Ndiaye de déclencher le plan Orsec et que la coalition JOTNA/Patriotes pour l’alternative de Ousmane Sonko exigeait du gouvernement de Macky Sall la mise en place immédiate d’un dispositif de contrôle indépendant, participatif et rigoureux pour éviter tout détournement de fonds ou de matériel par une « mafia du pompage » qui profite de la situation pour s’enrichir impunément. Un timing également bien choisi…pour faire son entrée.

Après l’eau, vers « une alliance de feu » entre Khalifa Sall et Ousmane Sonko

Les yeux toujours rivés vers le Palais. Sa condamnation en 2018 à cinq ans de prison après avoir été reconnu coupable du détournement sur les caisses de la ville, accusations qu’il a toujours niées, avait empêché Khalifa Sall de se présenter à la présidentielle de 2019. Gracié, le 29 septembre dernier, l’ex-maire de Dakar, Khalifa Sall, en évoquant la force de ses convictions, promet de faire front et s’engage à rester sur la ligne d’ancrage dans l’opposition avec responsabilité. Mais dira-t-il, sans compromission, avec fermeté et sans excès, trois semaines après avoir retrouvé la liberté après deux ans et demi de prison à la faveur d’une grâce du président Macky Sall.

Une grâce qui ne permettra pas non plus au leader de l’opposition de récupérer ses droits civiques. Il reste inéligible au regard de la loi sénégalaise. « Sa libération est un soulagement, mais cette décision n’enlève rien au caractère politique de ce procès ni à sa détention arbitraire », affirmait Seydou Diagne, son avocat, qui rappelle que la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a estimé, en juin, que Khalifa Sall avait été détenu illégalement pendant trois mois alors qu’il était encore député.

Aujourd’hui, plus que jamais, Khalifa Sall est déterminé dans sa quête du pouvoir. Comme il se réclame tout le temps « être intéressé par le devenir du Sénégal ». Quoi de mieux que de diriger le pays ? Dans son boubou blanc, donnant l’impression d’un homme propre à ne rien se rapprocher, Khalifa Sall entretient des relations courtoisie avec presque toute la classe politique sénégalaise. Son alliance avec Ousmane Sonko a été de nouveau plébiscitée après les émeutes du 3 au 8 mars survenus après l’arrestation du leader de Pastef, en maille avec la justice dans une affaire de viol.

N’empêche : Khalifa Sall prépare discrètement son agenda politique avec ou sans le Parti socialiste, dont il a été exclu. Lors de la visite de Ousmane Sonko au siège de Taxawu Senegaal, mardi 16 mars 2021, Khalifa Sall avait soutenu que « Le combat qui a été mené par chacun de nous était une obligation (…) Si nous ne nous étions pas battus pour Ousmane Sonko, ça en aurait fini avec tous les politiques. De 2012 à aujourd’hui, quels sont les leaders de l’opposition qui n’ont pas été emprisonnés ? (…) Ça suffit ! Le cri de guerre était qu’Ousmane Sonko ne devait pas être le troisième (…) »

Avant d’ajouter par cette même occasion que : « Ce que nous vivons aujourd’hui est le point de départ dans la construction de ce pays et la consolidation de notre démocratie (…) Il faudra que la liberté et la démocratie puissent être confortées et consolidées (…) Sur le plan comportemental, sur le plan de la conscience par les acteurs politiques, pour que cette rupture puisse se faire dans les meilleures conditions. Il faudra que nous comprenions que nous devons gérer ce pays autrement et différemment (…) Une grande nation comme la nôtre ne peut se construire qu’à travers de grandes dynamiques au tour des hommes, des femmes et des valeurs. »

Sans délaisser que cette sortie politico-médiatique de Khalifa Sall intervient dans un contexte politique crucial.  Où le statut du chef de l’opposition que certains attribuent à Sonko, après le ralliement de Idrissa Seck à la mouvance présidentielle. Voilà que l’opposant socialiste aphone reprend service sans en donner l’impression. Et surtout, pour ne pas donner de fil à coudre à ceux qui le taxent d’abandon politique quand il s’agit de se prononcer sur les questions d’actualité.