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Jeunesse et emploi: un problème systémique De notre correspondant en France, Séga Fall MBODJI, Paris

Ce n’est pas parce que les jeunes sont sortis dans la rue qu’il faut se précipiter et donner des réponses sous forme de slogans sans contenu sociotechnique. La question de l’emploi des jeunes n’est pas un problème de milliards, mais plutôt de système. L’aspect géographique de la région dakaroise déséquilibre l’économie.

Lors de son allocution du 8 mars dernier, le président de la république Macky Sall a promis 350 milliards de nos francs pour l’emploi des jeunes. A la veille de la fête nationale du 4 avril, il a augmenté ce financement à 450 milliards sur 3 ans, dont 150 milliards pour cette année. Une agence dénommée « Pôle Emploi et Entreprenariat pour les jeunes et les femmes » s’occupera de la gestion du portefeuille avec un cadre d’accueil, de conseil et de financement des porteurs de projets. Cette proposition du président semble dubitative : des Sénégalais ont d’emblée pensé que l’argent va être détourné comme à l’accoutumée.

L’actuel régime cite la démographie et la pandémie Covid-19 comme principales causes du chômage des jeunes. Cet argument fallacieux n’est que de la poudre aux yeux et dénote un manque de courage de confronter les problèmes que rencontre la jeunesse. De fait, l’emploi des jeunes est un enjeu majeur et ancien qui devient un sujet de plus en plus préoccupant. En effet, les projections 2010 de l’ANSD témoignent de l’ancienneté et la récurrence de cette problématique, stipulant une croissance exponentielle du chômage des jeunes entre 15 et 34 ans depuis plusieurs années.

Malgré les milliards injectés par les régimes successifs, le chômage des jeunes ne cesse de s’aggraver. Ce n’est pas parce que les jeunes sont sortis dans la rue qu’il faut se précipiter et donner des réponses sous forme de slogans sans contenu sociotechnique. La question de l’emploi des jeunes n’est pas un problème de milliards, mais plutôt de système.

La région de Dakar asphyxie l’emploi et l’économie de manière plus globale. En effet, située dans la presqu’île du Cap Vert, cette région s’étend sur 550 km2, soit 0,28% du territoire national. Près de 25% de la population sénégalaise y vivent. Elle concentre 90% des activités correspondant à 75% de la masse salariale. Métaphoriquement, c’est vouloir construire une maison en allouant plus de 3/4 du budget à la construction de la cave. L’aspect géographique de la région dakaroise déséquilibre l’économie.

On ne peut pas aspirer à l’inversion de la courbe de chômage sans avoir maîtrisé en amont la démographie et l’occupation principale des jeunes :

  • Exerce un emploi rémunéré à plein temps / à temps partiel ;
  • Lycée / Etudiant / Elève en apprentissage avec contrat de qualification ;
  • Chômeur ayant déjà travaillé / n’ayant jamais travaillé ;
  • Personne sans profession / Inactif ;
  • Commune de résidence.

Notre système éducatif est fondé sur le système LMD selon lequel l’étudiant décroche son diplôme de Licence et/ou Master et espère trouver un contrat CDD ou CDI dans une entreprise. Chaque année, le diplôme de Master est décerné à au moins 2.500 étudiants et seulement 200 réussissent leur insertion professionnelle. Ainsi, le rêve de 92% de ces diplômés est brisé. Cela démontre que le système LMD est en déphasage avec nos réalités sociétales. Et les jeunes qui subissent un décrochage scolaire, leur avenir semble-t-il compromis ? Ceux-là sont même abandonnés à leur sort.

En matière d’emploi, évoquer la rémunération n’est pas anodin. « Le SMIC horaire au Sénégal, de 209,10 f cfa depuis 1996, devrait ainsi passer à 302,890 f cfa à compter du 1er juin 2018, pour atteindre 317,313 f cfa à compter du 1er janvier 2019 et 333,808 fcfa à compter du 1er décembre 2019 » selon le ministère du travail. Par exemple, un employé à temps plein qui travaille 35h par semaine va recevoir à la fin du mois 333,808 x 35 x 4,33 = 50 238,104 fcfa. Ce salaire pourra-t-il couvrir les dépenses qui deviennent de plus en plus indispensables aujourd’hui ? Un cas réel déplorable : une jeune employée d’une pâtisserie travaille 6 jours dans la semaine, de 16h à minuit. A l’aller, elle se permet de prendre les transports en commun. Pour rentrer le soir, elle n’a pas d’autre choix que de prendre un taxi qui lui coûte 1.500 fcfa. Sachant que son salaire n’excède pas 100.000 fcfa, le transport équivaut à 1/3 de son revenu… Les revenus doivent progresser au même rythme que les prix des biens de première nécessité.

Tout bien pesé, les facteurs non exhaustifs cités ci-haut obstruent l’accès de la jeunesse à l’emploi qui demeure un défi à relever. Néanmoins, apporter des solutions à ces problématiques servirait de levier pour la relance de l’emploi dans un horizon proche. Par rapport à l’aspect géographique, il suffit de désengorger la région de Dakar. Parmi les promesses du président Macky Sall, on peut citer la décentralisation du conseil des ministres dont l’idée est noble mais mal conçue malheureusement. En effet, cette décentralisation devrait s’appliquer aux ministères en délocalisant une partie dans les autres régions plutôt que de les regrouper de nouveau à Diamniadio. Les ministres mutés pourront participer au conseil par visioconférence. Cette politique ministérielle permettra d’une part de réguler la masse salariale sur l’ensemble du territoire et réduire les disparités. On rappelle que sur les 1.100 Mds de masse salariale dont 825 Mds concentrés sur Dakar, 5% des travailleurs (poste de responsabilité) consomment 500 Mds, 25% autres travailleurs coûtent 250 Mds et 70% représentant l’immense majorité se retrouvent avec 350 Mds.

D’autre part, les besoins inhérents à l’externalisation régionale sont pourvoyeurs d’emplois : le besoin de logements ; la ruée des jeunes dakarois vers les régions pour saisir les nouvelles opportunités exigera le renforcement du réseau de transports (bitumage des routes, taxi, bus, …), la restauration, les commerces, etc. Cette migration aura également une influence sur l’éducation ; d’où la construction des écoles et le recrutement de personnel… La tenue de cette promesse du chef de l’Etat dynamiserait toutes les régions avec des activités florissantes. Par conséquent, la jeunesse deviendra plus active et contrôlée par un plan rigoureux et strict de suivi.

Le plan de suivi de la jeunesse doit reposer sur sa démographie dans un périmètre restreint : la commune.

Pour la fiabilité des données statistiques, il faut faire un recensement par commune et non pas une estimation. Cette enquête menée par les jeunes devient donc un emploi à temps partiel pour eux. Ainsi, on aura une base de données où chaque individu de la commune est identifié, une adresse connue et une occupation principale renseignée. C’est à ce moment-là que l’implantation d’une agence communale « Pôle Emploi et Entreprenariat » sera très utile avec son cadre d’accueil, de conseil et de financement. Chaque agence recrutera son personnel et ce sera un quota non négligeable d’emplois créés. Par cette approche communale, l’Etat aura un suivi régulier sur sa jeunesse ; ce qui lui permettra d’ajuster au fur et à mesure sa politique de l’emploi.

L’éducation et la formation professionnelle ne passent pas inaperçues dans la politique publique d’un Etat. L’heure de la réforme du système LMD a sonné. Les programmes d’enseignement ne correspondent plus aux besoins du marché de l’emploi. De plus, avec l’essor des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle, les métiers évoluent de façon fulgurante et beaucoup disparaîtront dans les années à venir. On peut citer le métier de pompiste avec l’automatisation des stations de service. Il faut donc penser à orienter les jeunes vers les formations professionnelles et l’Etat se chargera aussi de valoriser les secteurs d’activités tels que l’artisanat, la boulangerie, la plomberie, l’électricité, … Prenons l’exemple de l’agriculture : la commercialisation de l’arachide est un fiasco. Le kilogramme se vend à 250 fcfa. Au lieu de bazarder cette principale culture de rente du Sénégal, L’Etat devrait plutôt investir dans sa transformation en pâte d’arachide et son exportation. A défaut d’une industrialisation, le décorticage peut se faire manuellement même s’il faut embaucher 150 000 jeunes. Non seulement on gagne en termes d’emplois créés, mais aussi la commercialisation du produit fini est plus rentable pour l’économie du pays… De surcroît, un jeune sans emploi peut en créer ; d’où la nécessité de préparer la jeunesse à l’entreprenariat.

La création d’emploi est certes très importante pour réduire le chômage, mais la rémunération sous-jacente n’en est pas moins. Le SMIC doit être recalculé sur la base des besoins vitaux de la classe moyenne (loyer, nourriture, factures, transport, etc.) concomitamment aux prix de marché des biens. Les cotisations pour l’assurance maladie, le chômage, la retraite et l’impôt devraient être déduites du salaire d’un employé. Cela servira de garantie en amortissant les frais de soins en cas de maladie et assurant une allocation en cas de perte d’emploi involontaire. Le SMIC est donc un indice à plusieurs variables avec un système de pondération non uniforme et sa revalorisation est impérative. En outre, malgré les fluctuations du salaire en fonction des profils, l’étendue salariale = Salaire max – Salaire min est exorbitante. C’est insolent de voir dans nos administrations un vigile qui touche moins de 100 000 fcfa mensuel au moment où un PDG gagne 9 millions mensuel, soit 90 fois plus. Encore plus paradoxal, le salaire du président des USA (grande puissance) s’élève en moyenne à 400 000 dollars annuel et celui du président sénégalais (pays sous-développé) englobant la caisse noire est de 14,7 millions de dollars annuel, soit 37 fois de plus que les USA. Ce n’est qu’une aberration flagrante. Ce coefficient multiplicateur mérite une étude sérieuse en plus d’une corrélation positive des salaires à définir, c’est-à-dire si le salaire du boss grimpe alors celui de ses employés augmente aussi.

En définitive, apporter des solutions à la jeunesse par la création d’emploi c’est s’intéresser à sa réussite et stabilité sociale. Cette volonté politique doit reposer sur un modèle en adéquation avec nos réalités. Un diagnostic de la politique de jeunesse révèle des points bloquants tels que l’aspect géographique qui envoie un signal d’alerte sur la suffocation de la région de Dakar, l’ignorance de la démographie des jeunes, un système éducatif inadéquat et la rémunération très modeste de l’emploi. La décentralisation de la région de Dakar donne une visibilité sur l’emploi des jeunes grâce à une répartition de la masse salariale sur le territoire et une réduction considérable des disparités sociales. Un plan de suivi de la jeunesse à l’échelle de la commune permet à l’Etat d’avoir une lisibilité sur le quotidien des jeunes et ajuster ses politiques publiques pour mieux répondre à leurs attentes. La réforme du système LMD et le renforcement de la formation professionnelle et l’entreprenariat facilitent l’accès à l’emploi. La revalorisation du SMIC pour une bonne rémunération de l’emploi motive les actifs et dynamise les secteurs d’activités. Le président Macky Sall aux jeunes « …Je vous ai compris… », le prochain message devrait être « …Je vous ai vus et vous vois travailler… ».

Séga Fall MBODJI, Paris