GMT Pile à l'heure

La Ligne du Devoir

Homme politique de l’année ? Macky Sall en mille et une stratégies politiques Pape Sadio THIAM, Éditorialiste Desk central, Le Devoir

L’année 2020 aura été une année éminemment politique, comme les autres années d’ailleurs depuis 2012, avec l’arrivée du président Macky Sall au pouvoir. Du point de vue de l’exercice des activités politiques, ceux qui pensaient que Macky Sall est un nain politique, sans envergure aucune vont devoir déchanter. Une simple lecture de la récente actualité politique démontre avec aisance que c’est bien lui qui a le monopole de l’espace politique et non l’opposition, comme ce fut souvent le cas du temps de Wade opposant. Le président de la République et président de l’Alliance pour la République a très tôt compris le principe qui postule de l’idée selon laquelle le pouvoir politique est comme une bougie, on l’exerce avec une énergie périssable et non renouvelable ; on est obligé aussi bien dans les sphères du pouvoir que dans celles de l’opposition d’être créatif et dynamique. Plus on use du pouvoir, davantage on en manque, à l’image de la bougie qui, à force d’éclairer, consume progressivement l’énergie qui lui permet cette faculté d’éclairer jusqu’à n’être plus qu’une insignifiante flammèche que le plus faible vent éteindra de façon brutale et définitive.

Ensuite, il a compris que tout ce qui incommode l’expression totale du pouvoir politique est, du coup, un pouvoir politique rival. C’est pourquoi, il n’a pas hésité sans état d’âme à se séparer, puis à se retrouver dans certains cas avec certains proches collaborateurs. Sous ce rapport, la politique de cooptation des hommes politiques récalcitrants de l’opposition et des membres les plus significatifs de la société civile qu’il a initiée est certes répréhensible moralement, mais personne ne peut le condamner politiquement.

Ces trois lectures ne se sont pas présentées comme alternatives à Macky Sall : il les a investies concomitamment et c’est la raison pour laquelle depuis 2012, il a littéralement occupé la scène politique. Ensuite, à ces vielles recettes politiques, il faudrait ajouter la stratégie de l’effet de surprise qui lui a permis d’imposer le référendum, la fusion carte d’identité-carte électeur, le parrainage, le report des élections locales, et la suppression du poste de Premier ministre qui sera sûrement de retour avant 2024. Certains n’hésitent pas à mettre cela sous le compte du génie politique de Macky Sall vu que, aussi bien ses alliés que ses adversaires naturels les plus redoutables ont du mal à imprimer leurs empreintes sur la nouvelle configuration politique.

Partager avec les alliés

Cette analyse tombe dans le non-sens d’autant plus que le génie politique existe dès lors qu’on parle d’art politique : on ne saurait, par conséquent, concevoir un homme politique qui accède au pouvoir sans aucun génie politique. Sur le plan de la démarche purement politique aussi, Macky Sall a su sublimer la culture politique du partage du pouvoir avec ses alliés. Dans la communication politique, on dit souvent que la meilleure forme de gestion est celle concertée : la gestion solitaire du pouvoir est non seulement passée de mode mais incompatible avec les exigences du développement et de la citoyenneté active. En réussissant à maintenir l’unité de sa coalition Benno Bokk Yakar, au-delà des prévisions les plus optimistes, il a réussi une gouvernance moins tumultueuse avec son opposition. L’habileté politique de Macky Sall aura consisté à exploiter sans état d’âme toutes les opportunités que l’exigence citoyenne de transparence et de reddition des comptes pouvait lui assurer.

On pourra toujours disserter sur la question de savoir si la reddition des comptes telle que pratiquée par le régime de Macky Sall était réellement une demande sociale, mais les dividendes politiques qu’il en a tirées sont manifestes. Il a réussi sur ce plan à installer ses adversaires les plus redoutables dans les arcanes précaires de la déculpabilisation : neutralisation de ses adversaires, diabolisation de son prédécesseur, infiltration de ses propres alliés, etc., De 2012 à 2015, son opposition a passé tout son temps plus à se déculpabiliser avec tout ce que cela requiert comme stratégies politiques à mobiliser, plus à occuper l’espace politique. On pourra toujours ergoter sur la moralité de la façon de faire la politique de Macky Sall ; la politique n’est certainement pas un univers de charité où les pratiques et les décisions obéiraient strictement à la norme de la bonté. Sous ce rapport précis, on ne saurait reprocher à un homme politique de faire preuve d’opportunisme, de calculs machiavéliques et de férocité dans le combat politique.

Mais tout porte à croire qu’il s’est fixé des objectifs et a mobilisé la logistique politique requise. Macky Sall a été dit-on maoïste avant d’être libéral, mais dans les faits on ne remarque pas une véritable déchirure idéologique dans son action politique. Ni trop marqué à gauche ni trop étiqueté à droite, Macky Sall semble opter pour l’équilibre idéologique. Évidemment que cette posture pourrait être interprétée comme une preuve de pilotage à vue. Mais au regard de la marche du monde, il serait risqué, voir suicidaire pour un pays d’opter pour un radicalisme idéologique. La géopolitique exige la diversification des partenaires et la souplesse dans la conduite des politiques économiques locales. Sur ce point, Macky Sall, en plus d’avoir conservé la politique libérale et d’ouverture de son prédécesseur, a initié des politiques sociales qui, dans le principe, respectent l’obligation sociale qui incombe à tout État.

Est-ce par conviction socialiste ou par opportunisme populiste ? C’est difficile de trancher cette question, mais il semble que les populations n’apprécient guère des politiques en fonction de leur couleur idéologique. Ce qui importe le plus aux populations, ce sont les résultats des politiques économiques et sociales. Le leadership ne se décrète ni ne s’impose en démocratie, elle se négocie par un esprit de dépassement, par une capacité d’écoute et de synthèse, mais aussi par le sens du consensus. Car être élu ou réélu dans une démocratie n’est pas chose difficile pour un homme politique habile. Mais le plus difficile et le plus important, c’est de rester dans les esprits au-delà de son règne.

Pour davantage affiner son leadership Macky Sall devra impérativement s’employer à assainir ses rapports avec certains contre-pouvoirs. Il s’agit d’abord de la société civile qui commence à être choquée par les déclarations de certains membres du gouvernement. Ce rempart indispensable dans notre démocratie ne doit pas être affaibli ; or certaines critiques tendent à la discréditer. Si Macky Sall a réussi à assainir ses relations avec la presse au point d’apparaître comme « l’élu de son cœur », il doit pouvoir le faire avec la société civile.

Il s’agit ensuite d’assainir ses relations avec l’opposition, car la tension et la confrontation permanente peuvent lui être momentanément favorables, mais à la longue ça ne pourrait que lui être nocif. Mais la culture d’un leadership en politique est sans effet lorsqu’elle ne s’accompagne pas d’un entourage crédible et à la limite irréprochable. Le président de la République n’est pas n’importe qui et il ne devrait pas s’accommoder de la médiocrité et des mondanités excessives de quelques compagnons de lutte.

[sdm_download id=”3574″ fancy=”0″]