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Haute cour de Justice : III-Circonstances atténuantes

Mamadou Dia devant la Haute cour de Justice

Réquisitoire modéré du Procureur général

Texte : Mamadou Seyni MBENGUE

Saisie : Mamadou DIENE

Co Agence de Presse Sénégalaise

in Le Devoir Nos 31 et sq, juillet  à septembre 1987

DAKAR 10.5.63. Le Procureur général  de la Haute Cour  de Justice appelée  à juger les événements du dix-sept décembre dernier, a prononcé vendredi matin contre l’ex-président du Conseil  et ses quatre ministres un réquisitoire très modéré. Contrairement a l’habitude, M. Ousmane Camara n’a pas fixé l’échelle des peines qu’était en droit de demander le ministère public. Concernant le principal accusé, l’ex- président Dia, le Procureur général a retenu que tous les éléments étaient réunis pour qu’il y ait attentat contre la sûreté intérieure de l’Etat et actes attentatoires la liberté individuelle, mais il a reconnu aussi les circonstances atténuantes.

Je suis convaincu, a-t-il déclaré, de la pureté de ses intentions. A un moment donné il croyait bien faire, mais entre ce qu’il croyait et la loi, il y avait un fossé et ce qu’il a fa constitue des fautes lourdes”. Après avoir cité Lamennais selon lequel ” la cause la plus sainte devient une cause impie quand on use du crime pour la faire triompher», le procureur Camara a affirmé que le ministère public estimait cependant que l’accusé devait bénéficier des circonstances atténuantes.

En ce qui concerne l’ex-ministre Ibrahima Sarr qui avait revendiqué le droit d’être considéré comme co-auteur des faits et gestes de M. Mamadou Dia, le Procureur général a indiqué qu’après examen approfondi du dossier, il n’avait pu relever de faits justificatifs et que, sur le simple plan de droit, les seules déclarations n’étaient pas suffisantes. Par conséquent, le ministère public abandonne les chefs d’accusation retenus contre Ibrahima Sarr.

Quant à M. Alioune Tall, ancien ministre de l’Information, dit M. Ousmane Camara, on ne peut lui faire grief de s’être rendu à la Radio durant les événements et le ministère public s’en remet donc à la Cour.

Les deux accusés, M. Valdiodio Ndiaye et Joseph Mbaye ont respective- ment participé à la rédaction d’un ordre de réquisition pour faire lever les troupes et à la coupure des lignes téléphoniques de la Présidence de la République, a déclaré le Procureur général. Il a aussitôt ajouté que la forte personnalité de l’ex-président du Conseil éclipsait celle des autres accusés.Si des faits doivent leur être reprochés, a-t-il dit, comme le principal accusé a des circonstances atténuantes, ils doivent, eux aussi, en bénéficier ».

Auparavant, M. Ousmane Camara avait abordé les trois points essentiels sur lesquels porte l’accusation et que la défense tentera de réfuter au cours de ses plaidoiries. Les faits, a soutenu le Procureur général, sont les fait s: il y a eu violation de la Constitution, qu’on le veuille ou non. Quant à la primauté du parti qui sera évoquée, elle devait obliger l’ex-président Dia, bien au contraire, à se laisser renverser constitutionnellement pour aller ensuite devant le Conseil national de l’UPS qui aurait pu le réinvestir.

Enfin, en ce qui concerne la loi sur l’état d’urgence, en vigueur en décembre, et qui a permis au président Dia de prendre les mesures qu’il a prises, M. Ousmane Camara a soutenu qu’une loi,  même d’urgence, ne peut avoir le pas sur la Constitution. Le procès se poursuit cet après-midi avec les plaidoiries de la défense.
VENDREDI 10 MAI A LA HAUTE COUR DE JUSTICE-LE procès de l’ex-président du Conseil et de ses quatre co-accusés touche à sa fin. Dans quelques heures, la crise qui éclata au Sénégal il y a six mois et qui conduisit aux tragiques événements de décembre connaitra son dénouement. Après la seconde phase qui consistait en l’audition des accusés, et qui fut dominée par la déposition tant attendue de l’ex-président du Conseil, le Procureur général Ousmane Camara prononce aujourd’hui son réquisitoire.

UN REQUISITOIRE MODERE

DISONS-le tout de suite : comme l’a souligné la défense elle-même, ce fut un réquisitoire objectif et modéré qui fut prononcé par le représentant du ministère public.

Hier, devait-il commencer, un avocat se demandait ce qu’il était venu faire à ce procès. Par une démarche différente, je me suis également posé la même question. Mais j’ai cherché à voir clair. Mon rôle consiste à essayer autant que possible à m’élever jusqu’à ce niveau objectif et arbitral de la magistrature sénégalaise. Sans haine, sans rancœur, ma mission a consisté de me pencher sur cette affaire, de découvrir la trame de cette toile, de scruter les visages des acteurs de ce drame…”

Et M. Ousmane Camara, avec le souci du rétablissement de la vérité dont il n’a cessé de faire montre pendant tous les débats, d’essayer à son tour d’ouvrir un “journal de marche des événements“.

Pour lui, il n’y a aucun doute : l’ex- premier ministre a violé la Constitution de son pays. En quoi pensant ?

* 1- En empêchant les députés, usant des prérogatives de la Constitution, de discuter d’une motion de censure ;

* 2- En arrêtant quatre d’entre eux ;

3- En substituant sa propre réquisition à celle établie par le président de la République ;

* 4- En séquestrant deux citoyens libres jusqu’à 4 heures du matin dans le Building administratif.

M. Ousmane Camara raconte les faits, leurs agencements et explique au fur et à mesure les mobiles qui ont fait agir les acteurs. Il affirme avec force que le président du Conseil a outrepassé ses droits en prescrivant à l’armée la désobéissance au Président de la République, en arrêtant des députés, en ordonnant la coupure des lignes téléphoniques qui relient le Palais présidentiel à l’extérieur.

On essaiera de vous convaincre, dit-il, s’adressant aux juges, que le Sénégal n’a créé une présidence de la République que pour en faire le refuge d’hommes politiques fatigués. Non! au Sénégal le Président de la République en tant qu’arbitre avait le droit de mettre en branle les dispositions de l’article 24. Il eût failli à son devoir s’il tergiversait, alors qu’un article aussi clair lui dictait ce qu’il fallait faire en de pareilles circonstances”. Il explique que la même thèse de la primauté du Parti devait prévaloir dans un procès, l’ex-Premier ministre avait violé les lois de son parti, dès lors que le 17 décembre au matin, il refusa de prendre part à la réunion, prévue par le parti, du groupe parlementaire, sous le seul prétexte que la conférence des présidents s’était tenue et avait décidé de la discussion, dans l’après-midi, de la motion de censure.

Concluant dans une envolée oratoire digne des maîtres du barreau, le procureur Ousmane Camara devait dire à l’adresse des juges : «Mon rôle, ma conscience me dictent de vous dire que cet inculpé – (Mamadou Dia) – en faisant ce qu’il a fait, a enfreint des lois de son pays, mais il mérite des circonstances atténuantes».

Puis, il en vient aux co-inculpés de l’ex-Premier ministre. Le cas de Ibrahima Sarr ne l’embarrasse guère. Les seules déclarations de l’intéressé ne lui suffisent pas pour requérir contre lui une inculpation. Quant à l’ex-ministre de l’Information, M. Alioune Tall, le Procureur général s’en remet à la Haute Cour. Restent MM. Valdiodio Ndiaye et. Joseph Mbaye pour lesquels les faits sont clairs et ont été accomplis par les intéressés.

Dans l’après-midi de ce procès qui n’a jamais cessé d’être passionnant, les avocats de la défense occuperont tour à tour le prétoire, pour essayer sinon de faire acquitter, du moins d’atténuer les peines qui attendent leurs clients.

LES DEBATS DE LA HAUTE COUR DE JUSTICE

LA PLAIDOIRIE DE LA DEFENSE

APRES le remarquable réquisitoire vendredi matin du Procureur général, réquisitoire empreint de froide fermeté, désarmant de logique, sans hargne et sans vains éclats, le procès devant la Haute Cour de Justice de M. Mamadou Dia et quatre de ses ministres est entré dans sa phase finale avec la plaidoirie des avocats de la défense.

MAITRE SARDA

Le premier à prendre la parole fut Me Sarda. Ses premiers mots ont été pour remercier la cour de son accueil à ce prétoire, accueil auquel il a été sensible avec ses collègues, et ensuite pour marquer l’insigne honneur qu’ils avaient d’être les avocats des accusés. « Ma tâche à moi, déclara-t-il, celle que m’ont confiée mes collègues, sera de replacer tous les éléments de ce procès sous un véritable éclairage ».

Me Sarda retrace alors le film des événements, les prémisses de la crise dans la journée du 14 décembre, les ultimes et laborieuses négociations des 15 et 16 pour trouver un accord et sauvegarder l’unité du parti, les «mesures conservatoires » prises par l’ex-président du Conseil sur la foi de renseignements de police faisant état de manifestations populaires probables autour de l’assemblée nationale, l’occupation de celle-ci par la gendarmerie et la garde républicaine, sur les ordres de M. Mamadou Dia, occupation qui, selon la défense, avait pour but d’obliger les députés à se soumettre à la décision du bureau politique qui avait renvoyé l’examen de la motion de censure devant le conseil national à Rufisque et enfin les derniers contacts entre le président du conseil et le chef de l’Etat pour règlement arbitral du différend.

Pour justifier les actes de l’ex-président du Conseil, il invoque la primauté du parti qui, selon lui, a inspiré tous les actes de l’accusé, « actes improvisés devant la pression des événements et non méticuleusement agencés, mûris, comme il est de règle dans les véritables coups d’Etat ».

Me Sarda conclut : « Il est bon que de jeunes Etats reconnaissent qu’il existe des lois non écrites qui s’imposent à la conscience universelle et que l’on sache que dans ce procès il ne peut y avoir ni peine ni condamnation ».

MAITRE BADINTER

➤ C’est ensuite à Me Badinter, avocat de Me Valdiodio Ndiaye, de faire entendre la voix de la défense, une défense qui évolue avec une aisance parfaite dans la totale et entière liberté que le président Goundiam a su faire régner dans ce prétoire depuis l’ouverture du procès. On reconnaît par là, comme s’était plu à le souligner le Procureur général dans son réquisitoire du matin, « l’estampille de la magistrature sénégalaise : une magistrature indépendante s’élevant à un niveau objectif et arbitral ».

Comme son prédécesseur, Me Sarda, il soulignera dans son préambule la dignité et la rectitude que le président Goundiam a su introduire dans les débats. Puis élevant la voix, le regard tourné vers le banc des accusés, il déclare : « Ils ont leur place dans l’histoire, dans la réalité la plus vivante de la vie sénégalaise » (…) précisant que la pièce maîtresse sur laquelle se fonde l’accusation n’existe pas au dossier. Il s’agit ici de la réquisition du Président de la République requérant les forces armées à défendre le palais, réquisition à laquelle M. Mamadou Dia substitua une autre identique dans les termes, mais revêtue de sa signature avec un alinéa de plus rédigé par M. Valdiodio Ndiaye. “Ce document capital, souligne Me Badinter, il appartenait à M. le Procureur général de le produire dans le dossier pour étayer au moins son grief ».
Après avoir déclaré que les accusés, au cours de cette journée dramatique, avaient fait de leur mieux pour que le sang sénégalais ne coule pas, Me Badinter se tourne vers les juges : «Vous êtes un jury politique, dit-il, et étant un jury politique; vous vous devez de surmonter la politique pour connaître la justice ». Il conclut : « Seul un verdict d’acquittement peut être rendu sur Valdiodio Ndiaye ».

MAITRE FARTHOUAT

➤ L’avocat du président Dia prend alors la parole. C’est une voix forte qui monte cette fois dans le silence de la salle. Quelle dignité dans cette cour et quelle noblesse ! Ici la passion est absente. Absentes aussi la haine et la rancœur.

Pour lui, « ses confrères ont déjà démontré l’inanité des charges qui pèsent sur M. Mamadou Dia, car, dit-il, il n’y a pas de coup d’Etat et la morale internationale a déjà prononcé un verdict d’acquittement ». Il établit un parallèle entre les événements d’août 1960 qui ont vu l’éclatement de l’ex-Fédération du Mali et ceux de décembre 1962 et dégage ce qu’il appelle « une étrange similitude dans le processus du déroulement des faits ». Il situe ensuite le Sénégal sur le plan économique au moment des événements de décembre : lancement du plan de développement, mobilisation de la nation, regard du monde entier, en particulier de jeunes nations d’Afrique, tourné vers l’expérience sénégalaise.

« Faites, messieurs, par votre verdict, conclut-il, que la magnifique devise du peuple sénégalais demeure à jamais une réalité ».

Avocat de M. Alioune Tall, Me Oumar Diop apportera peu de chose dans sa plaidoirie au procès. Dès le début, il eut l’air de placer le débat sur un terrain personnel, fit état de son ancienne qualité de candidat de l’opposition aux élections législatives de mars 1959, prenant en cible la politique de l’UPS. Son intervention qui prit à certains moments le tour d’un véritable réquisitoire contre l’UPS fit que l’attention de la salle baissa visiblement et que les quelques remarques intéressante qu’il fit se perdirent dans un cataracte de griefs et de reproches dans lesquels son imagination ne demeura pas en reste.

Pour Me Diop, les chefs d’accusation retenus contre les accusés se sont effrités dès l’instant qu’il a été démontré qu’il n’y pas eu agression contre le chef de l’Etat et contre le palais de la République.

En définitive et peut-être se souvenant tout à coup qu’il ne devait pas confondre sa propre cause et celle de ses clients, il fail appel à la conscience des juges, « hommes politiques et députés comme Mamadou Dia” et demande l’acquittement de son client et des accusés.

LA HAUTE COUR DE JUSTICE A DIT

SAMEDI 11 mai 1963. Il est 14 h 20. Aujourd’hui plus que jamais, les détails de temps ont leur importance pour ce que, avec les faits, ils constitueront la trame de l’histoire. Président et juges viennent de regagner leur fauteuil pour prononcer les sentences arrêtées contre cinq hommes qui ont, des années durant, fait intimement partie de « la classe dirigeante » de leur pays.

Ces hommes :

M. Mamadou Dia, président du Conseil des ministres du Sénégal jusqu’au 17 décembre 1962, et quatre de son équipe gouvernementale :

Ibrahima Sarr (Economie rurale),

Joseph Mbaye (Transports et des Télécommunications),

Valdiodio Ndiaye (Finances),

Alioune Tall (Information).

Ces quatre ministres-accusés dont le chef de file, M. Mamadou Dia, dira avant le verdict : « Il ne me reste plus qu’à attendre avec sérénité le jugement de la Haute Cour. Je considère que les faits qui me sont reprochés ne sont nullement justifiés. Si ma condamnation devait servir mon pays, j’accepte d’avance cette condamnation mais en souhaitant que mes amis qui me sont restés fidèles soient au moins épargnés ».

La Haute Cour, elle, au terme de près de trois heures de délibérations, a dit. Reconnaissant que l’accusé Mamadou Dia est coupable de complot, d’avoir pris le commandement des troupes sans toutefois les avoir soulevées, d’avoir fait procéder à des arrestations arbitraires et de s’être rebellé contre l’autorité publique, la Haute Cour a refusé le bénéfice des circonstances atténuantes qu’avait admis le Procureur général et condamne l’ex-président du Conseil à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée ; quant aux co-accusés Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Valdiodio Ndiaye, à qui la Haute Cour a reconnu les circonstances atténuantes, ils sont condamnés à vingt ans de détention criminelle. Enfin l’inculpé Alioune Tall, contre lequel le procureur n’avait pas requis, est condamné à cinq ans d’emprisonnement et à dix ans d’interdiction des droits civiques.

Cette dernière séance de la Haute Cour avait débuté à 9 h 00, par un appel à l’ordre du président Goundiam à l’adresse d’un des avocats de la défense, Me Oumar Diop qui, la veille, dans sa plaidoirie, « а insulté le gouvernement et la Cour.”
Faisant un ricochet sur le passé politique de cet avocat, le président Goundiam conclut en lui lançant un avertissement, non sans avoir souligné que l’intéressé était « connu pour ses prévarications, qui l’ont fait virer du rouge au violet ».

Intervient ensuite le Procureur général, M. Ousmane Camara, qui dit combien il a été peiné non seulement pour lui-même mais en pensant au barreau dont il pouvait lire la réprobation sur les visages. « Si ce qu’il dit», ajoute le procureur, « est dit au nom de ses clients, en communion avec eux, c’est un véritable suicide, un hara-kiri. Au cas contraire, c’est plus qu’une malhonnêteté, plus qu’une lâcheté. C’est une infamie, une trahison ».

Répondant, «par devoir“, à la Cour, le bâtonnier prend la parole : « Le rôle d’un avocat est très difficile, surtout lorsqu’il s’agit d’un procès de la dimension de celui que vous avez à connaître. Il s’agit ici d’un procès politique dont la complexité n’échappe à personne, a fortiori à un avocat. Et dans ce procès, ayant à apprécier le comportement de certains hommes dans un ensemble de circonstances et de contexte particulier, il est tentant pour un avocat de se laisser aller à certaines appréciations qu’il croyait utiles à l’explication qu’il voulait donner, débordant ainsi du cadre strict de la défense ». Le bâtonnier termine cette «plaidoirie incidente » en remerciant la cour de n’avoir pas donné de suite à l’attitude de son confrère.

UN DRAME NATIONAL

LES trois derniers avocats de la défense peuvent enfin être entendus.

D’abord Me Ogo Kane Diallo qui s’adresse en premier lieu au Procureur général « pour lui faire un aveu : C’est que moi aussi, dit-il, j’ai cherché à cerner la vérité, à lever toute ombre au tableau, à voir clair dans ce procès. Si le Procureur général a dit n’avoir rien vu qui puisse justifier une condamnation, ni dans le dossier ni dans la doctrine, c’est pour dire, Messieurs les Juges, qu’en fait, qu’en droit, Ibrahima Sarr doit être acquitté. Et s’il est acquitté, devra aussi l’être Mamadou Dia ».

Concernant la primauté du parti, l’avocat de la défense pose la question de savoir « si, en pratique, depuis que l’UPS, existe et dirige ce pays, l’UPS n’a pas été placée au-dessus du gouvernement, au-dessus de la constitution ?» et aboutit, au terme de sa plaidoirie, à cette affirmation : « La primauté du parti était une réalité ». Me Ogo Kane Diallo admet que la constitution a été violée mais au nom de cette primauté du parti, que M. Mamadou Dia voulait à tous prix sauvegarder.

Brillant dans son argumentation, pertinent dans son énoncé, précis dans son langage émaillé d’exemples, sans cesse préoccupé de faire sourdre la lumière, Me Abdoulayde Wade, qui axera son propos sur les diverses raisons d’acquitter les accusés, ne cache pas sa fierté devant la haute tenue des débats « et sa conviction intime dans cette triste affaires ». « J’étais venu à ce procès, dit-il, pour croiser le fer avec vous, M. le Procureur général. Mais j’ai été déçu parce que nous parlons le même langage ».

Pour Me Wade, militant de l’opposition par ailleurs, ce procès est un « drame national » car, lorsque le parti au pouvoir engage ses responsabilités, «j’estime que l’opposition doit aussi engager les siennes, mais l’opposition ne l’a pas fait ». « Dans notre régime politique en vigueur le 17 décembre 1962, dira encore Me Wade, le président du Conseil, en prenant les mesures qu’il a prises, n’a fait qu’appliquer les droits inhérents à sa charge. Il est des principes écrits et d’autres non dans une constitution, tel la Common law. Il y a aussi les coutumes constitutionnelles – qui prévalaient dans ce pays ». L’avocat de la défense cite plusieurs cas d’intervention directe du parti dans des décisions qui ne ressortaient pas de son domaine, telle la désignation aux différents poste de l’Assemblée nationale.

Tandis que Me Wade dissèque littéralement le mécanisme délicat des attributions respectives de plus hauts responsables de l’exécutif, le Président de la République et le président du Conseil, M. Mamadou Dia approuve de la tête.

Dans cette plaidoirie où il est plus question d’établir les limites de la primauté du parti et de la primauté du droit, Me Wade en arrive à la personne-même de l’accusé principal dont il souligne la grande contribution en tant qu’économiste à l’évolution du monde moderne, non sans citer de nombreux témoignages dont un, notamment, du chef de l’Etat, M. Léopold Sédar Senghor.

Autre mécanisme délicat qu’examinera Me Wade, celui de l’état de siège, de l’état d’urgence (apparu avec les événements d’Algérie), enfin celui des circonstances exceptionnelles (apparu avec la Constitution française de 1958, article 16), toutes choses qui, note Me Wade, ne figuraient pas dans la Constitution sénégalaise en vigueur le 17 décembre. L’avocat de la défense évoque la situation dans certaines parties du monde où le coup d’Etat est monnaie courante, l’Amérique latine en l’occurrence, considère que l’Afrique est manifestement encore très loin de cette situation, et souhaite que la haute tenue de ce procès et sa sérénité reflètent un verdict qui honore la magistrature sénégalaise.

UN JEU CRUEL

« JUSTICE et politique sont deux mots qui jurent », dira pour sa part Me Baudet, septième et dernier avocat de la défense. « Deux mots, M. le Président, m’ont apaisé, deux mots que vous avez dits en audience et au cours d’une intervention qu’en matière de politique, tout est ondoyant et si divers ; que la pensée politique est essentiellement mouvante. La justice est une fonction assumée par les bommes faute de mieux, dira encore Me Baudet en citation, et le juge est le moniteur moral de la nation. Je me suis demandé, poursuit Me Baudet, si ce procès n’était pas le résultat d’une double méprise : Mamadou Dia a cru bien faire, mais en face de lui aussi on a cru bien faire, pourquoi pas ? Pour Mamadou Dia, l’occasion méprise a été le dépôt de la motion de censure qu’il considérait comme un attentat contre la nation pour faire échec aux mesures socialistes, enrayer la marche du développement du pays, supprimer le plan, restaurer la féodalité. Au vrai, il y a eu affrontement de deux opinions, on a voulu jouer à se faire peur, et c’est un jeu cruel. On voit aujourd’hui qui est perdant ».

Mamadou Dia, souligne également Me Baudet, a été victime des calomnies (et de citer une phrase servant de légende à un calendrier, une phrase de l’ex-président du Conseil : « L’animation rurale est la véritable révolution du peuple »). « Révolution du peuple, fait remarquer l’avocat, ne peut plaire à tout le monde ». Me Baudet en arrive au caractère de M. Mamadou Dia dont il souligne l’entêtement mais aussi la grande valeur intellectuelle, morale et d’homme, pour conclure par cette prédiction à l’adresse des juges : « Vous ne pouvez vous permettre un gaspillage d’homme de la trempe de Mamadou Dia ».

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NDLR-C’est sur cette belle phrase de Mª Baudet que se termine le document sur le procès de 1963 dont nous avions commencé la publication depuis le numéro 31 du «Devoir». La suite, on la connaît plus ou moins bien par le président Mamadou Dia lui-même («Le Devoir n° 20), par Magatte Lô ensuite («Le Devoir» nº 16) enfin par Mansour Bouna Ndiaye (Le Devoir» n° 30).

Il reste que le Sénégal, nous tous ensemble, tarde à réparer cette injustice vieille de 24 ans maintenant. Il nous appartient à tous d’œuvrer pour remettre le président du Conseil dans ses droits d’ancien chef de l’Etat du Sénégal, conformément à l’article 19 de la Constitution de 1960.

Le président Abdou Diouf serait bien disposé dans ce sens. C’est ce qui expliquerait partiellement la conduite de Valdiodio. Ndiaye durant la campagne électorale de 1983. Trop fier, le président Dia aurait dans un premier temps refusé la main tendue par Abdou Diouf. Il nous semble cependant qu’avec la création du Front national patriotique, il soit revenu à de meilleurs sentiments.

Dans tous les cas, si le Sénégal ne lui appartient-pas, lui appartient au Sénégal. Témoin et acteur doublé d’une compétence et d’un patriotisme qui ont résisté à toutes les vicissitudes du pouvoir, il est resté ferme, inébranlable dans ses convictions. Son savoir et son expérience, le président Dia doit en faire bénéficier le Sénégal et les Sénégalais. En dehors de tout carcan idéologique.