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Gouvernement

Tenir dans la durée

Tenir au moins jusqu’en 2024 serait une prouesse pour le gouvernement Amadou Bâ (tel que cela se susurre dans les rangs du pouvoir), là où les probabilistes lui demandent de durer au moins jusqu’en décembre, base du minimum vital, les cent premiers jours : une majorité minoritaire à l’Assemblée fait face à une minorité majoritaire à l’Assemblée et qui lui avait promis l’enfer avant les résultats des Législatives du 31 juillet dernier en le forçant à la cohabitation, en attendant l‘alternance en 2024.
Si, à l’équilibre précaire et révocable à tout moment du jeu politique national, s’ajoutent les défections et le vote-sanction, la survie du gouvernement ne tient qu’à un fil ; l’installation du bureau de l’Assemblée nationale, le 12 septembre dernier, donne déjà le ton et le temps des quolibets et autres invectives : des éléphanteaux égarés dans un magasin de porcelaine ont souillé la sacralité du lieu. Comme avec les Locales du 24 janvier, l’électeur sénégalais ébahi s’est demandé quels étaient ces étrangers élus sur un coup de tête, dans une politique du « Tout sauf » qui n’a jamais donné des résultats autres que ceux regrettés au lendemain du vote. C’est la version du syndrome Morsi : contestés dès élus.
Avec la défection de Aminata Touré, le président de la République n’a plus une large marge de manœuvre pour élargir sa « majorité » avec les irréductibles que sont Pape Djibril Fall et Thierno Alassane Sall dont on connaît l’aversion pour son ancien patron depuis les événements de 2016 à Paris avec l’affaire « Total » pour laquelle le ministre qu’il était à dû rendre le tablier ; Pape Diop de Bokk Giss Giss/Likey ne sera pas toujours à l’Assemblée pour soutenir la « majorité » sauf par procuration, lui qui a frôlé la révocation pour abstentionnisme.
Cette situation particulière conduit aux observations suivantes :

1- Instabilité politique avec possibilité de renversement du gouvernement, dissolution du parlement et nouvelles élections.

2-Instabilité sans renversement, ce qui devrait conduire à des négociations incessantes et à une lenteur dans le vote des lois dans une période d’urgence signalée depuis le Premier ministre…Aminata Touré et son fast-track rendu célèbre par Kouthia.

Le gouvernement peut toutefois compter sur quelques impondérables : l’opposition devrait s’abstenir de tout blocage qui rejaillirait sur un public moins solidaire qui commence à douter de la sincérité de la lutte politique ; d’autant qu’il n’est pas sûr qu’elle bénéficierait des retombées de nouvelles élections qui lui permettraient de renforcer sa majorité parlementaire, bien au contraire ; beaucoup d’honorables doivent leur présence à l’Assemblée plus à la proportionnelle qu’à la liste majoritaire et cela n’est pas nouveau puisque Ousmane Sonko lui-même avait été repêché au plus fort reste dans la législature précédente.

La cohabitation imposée aux pouvoirs démocratiques ces trente dernières années persiste encore, sous une nouvelle architecture, alors qu’on en prévoyait la fin. La France et le Sénégal de 2022 refusent de signer la fin du cycle alors que tous les signes laissent entrevoir l’alternance à la place de la cohabitation. La mutualisation des efforts (coalitions) qui permettait à un homme de faire preuve de tolérance en cohabitant migre vers les formations elles-mêmes et à un niveau inférieur qu’est l’Assemblée, en tout cas au Sénégal du lendemain des Législatives du 31 juillet et en France ; l’intolérance vécue le 12 septembre avec l’installation du bureau de l’Assemblée fait douter cependant d’un éventuel renouvellement de l’expérience : les tentatives vaines du président français de rallier tout le monde à son panache renvoie aux solutions de sortie soufflées à Macky Sall comme l’exclusion d’un député libre de siéger en non aligné.
Le réflexe de survie de l’électorat favorable au statu quo ante fait ainsi le jeu du pouvoir, en tout cas au Sénégal où la peur de ne pas revenir maintient ainsi un certain équilibre de la terreur : du plus fort reste à la sélection sur la liste nationale en passant par l’épée de Damoclès suspendue sur la tête des principaux leaders de l’opposition.
Surtout que le vocable ne sied pas en la circonstance : la cohabitation suppose qu’en dehors du président, le Premier ministre est choisi dans le camp de l’opposition majoritaire à l’Assemblée nationale ; c’en était le cas doublement avec François Mitterrand (Jacques Chirac et Édouard Balladur) et avec Chirac lui-même avec Lionel Jospin. Macky Sall n’en est pas encore là.

P. MBODJE