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France, Scepticisme des sympathisants : l’anti-système se fait système Propos recueillis par Séga Fall MBODJI, Paris

Youssoupha Diop, Ingénieur télécom 5G

Pour être honnête, je croirai à Sonko tant que je ne verrai pas ce qu’il vaut une fois au pouvoir. Pour moi c’est tout simple : il est entrain de suivre le même chemin que tous nos dirigeants Wade et Macky. C’était quand on n’est rien qu’on défie le système pour se faire un nom, on tire sur le pouvoir, on vend des rêves à la population. Une fois qu’on se sent sur une bonne position comme la sienne actuellement, on prend le sens inverse se disant qu’il nous faut massifier, et c’est cette massification qui te remet dans le système parce que tu vas vers les gens pour récupérer tout et n’importe quoi.

S’il était vraiment anti-système, ce n’est pas à lui d’aller vers les gens en sillonnant le pays. Son programme qui a attiré des sympathisants, il doit le continuer et c’est là qu’il verra que seuls les vrais patriotes auront le temps et la conviction de venir vers lui. Les gens qui sont en train de lui chanter des louanges sont ceux qui l’insultaient hier. Ces corrompus voient que ça ne sent pas bon pour Macky, ils commencent à retourner les vestes. Comme d’habitude, on risque de se retrouver dans une boucle infinie avec ces mêmes crétins du système. Quand je l’ai vu avec eux, je me suis dit que c’est fini, il nous a vendu des rêves auxquels lui-même ne croit pas. Il se retrouve chez des gens que lui-même a traité de corrompus du système, et maintenant il leur rend visite pour s’allier. C’est un b… sans fin.

Maïmouna Diagne, Gestionnaire assurance

Je ne suis pas d’accord du tout. Je dirais plutôt que Sonko est un humain avant tout et surtout un homme digne. Des hommes sont morts en défendant sa cause, pour la plupart sans même le connaître. Le pays a été secoué par des faits le concernant. Beaucoup sont sortis pour le défendre. Donc il est normal qu’il fasse le fameux « massaou » à ceux qui ont défendu sa cause.

Adja Marème Diop, Ingénieure projet

Tout d’abord, il convient de se demander de quel système parle-t-on ? Celui d’une classe politico-maraboutique pompeuse et intéressée tenant le peuple en otage par un méli-mélo de pouvoir économique et divin qui leur confère tous les droits, y compris celui de l’impunité devant la justice face à l’injustice que O. Sonko évoque dans son livre “Solutions” ? Ou alors celui de la démocratie, du pouvoir du peuple et du service public pour l’intérêt de la Nation ?

N’oublions pas que Sonko étant lui-même un pur produit du système en tant que fonctionnaire et inspecteur fiscal aura fait un choix radical très tôt dans cette dualité d’un système moribond. Ce qui lui a sans doute valu beaucoup de sympathie de la population, tout comme la foudre de ceux qui voient en lui une menace contre le maintien de cet équilibre appelé tantôt “la paix” dans lequel ils tirent grand profit. Pour moi l’homme qui aspire à la magistrature suprême ne doit pas avoir comme moteur ni préoccupation de savoir qui est dans le système ou en dehors du système. Tout le monde d’une manière ou d’une autre peut s’y retrouver. Le plus important est la rupture à laquelle aspirent bon nombre de gens, y compris ceux dans le système, pour le bien-être de tous. La démission de certains haut gradés de la gendarmerie nationale lors de l’affaire de viol présumé en est une bonne illustration.

En sillonnant le Sénégal, Sonko est en train de faire probablement ce que tout homme épris de patriotisme doit faire en essayant de fédérer toutes les forces vives de la Nation. Il échappe ainsi au danger de la catégorisation et de l’étiquetage “anti-système” qui est pour autant en quelque sorte une cage dans laquelle certains voudraient le loger en faisant fi de la complexité de la nature humaine et du système politique en vogue dans un pays quasi-ingouvernable sans l’aval des guides et chefs religieux.

En sillonnant le Sénégal, Sonko est surtout en train de faire ce que le gouvernement actuel en place aurait dû faire plutôt que de jouer la carte du militantisme et de l’ethnicisme rampant qui pourrait mettre le feu à la poudrière.

Dès lors, je ne trouve pas la démarche contradictoire en soi à cette étape de la conquête du pouvoir. Cela ne veut pas dire que “l’anti se fait système”, bien au contraire : il s’agit de remplacer un système par un autre qui est un paradigme vital pour la survie actuelle du pays. Sonko a déjà dénoncé ce qu’il fallait dénoncer : ce qu’il faut dénoncer, c’est le système et pas toujours les hommes qui le composent car ils passent tandis que le système lui demeure.

Serigne Saliou Ndiaye, Actuaire

Je pense à « visite chez l’opposition classique, quand l’anti charme le système ». Il est obligé de changer sa stratégie et politiquement il a besoin du système pour le battre. A ce que je sache, il ne définit pas des coalitions électorales mais des fronts de lutte.

Awa Diop, Ingénieure ferroviaire

De mon point de vue, la démarche de Sonko revêt deux aspects :

– Démarche de reconnaissance : il a joué la carte politique pour sensibiliser l’opinion à cette histoire. Sinon l’affaire se serait seulement soldée en un éternel contrôle judiciaire, ou une affaire de viol traficotée dans le secret des dieux. Et qui aurait terni son image en plus de le rendre inéligible. Finalement, son combat s’est transformé en un combat pour la démocratie auquel toutes les victimes de la mal-gouvernance et du pillage des deniers publics ont pris part. L’opposition l’a soutenu, les jeunes de tous bords l’ont soutenu, le pays pleure ses morts. Il n’a le choix que de se montrer fédérateur et de remercier ne serait-ce par une simple visite de courtoisie ceux qui ont été là pour lui. Aussi c’est ce qui marche au Sénégal, cela fait partie de la culture. La culture, est-ce le système ?

– Dans cette continuité, Sonko surfe sur une vague de popularité, opportunité que lui offre cette situation initialement jugée désastreuse à son encontre. C’est lui l’homme de la situation, il est intouchable, fait de feu tout bois. L’homme téméraire va même jusqu’à imposer à César un plan d’actions d’ici 2024, et exige qu’il reste au pouvoir pour servir correctement le peuple. N’est-ce pas être indirectement calife à la place du calife sans en subir les contraintes ?

Enfin l’homme anti-système, est-ce l’homme anti-social ? Renier nos codes de sociétés, est-ce cela faire de l’anti-système ? J’emprunte cette déclaration de la grande royale qui invitait à laisser les enfants aller à l’école pour, disait-elle, apprendre comment gagner sans avoir raison. Ou parle-t-on d’un anti-système vis à vis de la puissance coloniale ?

Dans tous les cas, la révolution doit venir du bas. Et qui n’arrive pas à fédérer son peuple aura certainement du mal à les diriger. Sonko joue sur la psychologie des foules, chaque chose en son temps. Et le nouveau type de Sonko peut conquérir le cœur des gens sans faire peur. Son discours initial faisait peur, je pense qu’il a compris. Il faut être intelligent. Après, il faut aussi être dupe pour croire qu’il peut changer le système ou le Sénégalais d’un coup de baguette magique. Les habitudes ont la peau dure.

C’est pour les impôts : entre augmenter la TVA de 1% chaque année ou augmenter les impôts sur les salaires de 1%, lequel est le moins flagrant et le plus recevable par le public ?

Ndèye Coumba Kama, Gestionnaire

Le système est un mode de fonctionnement. Il est composé de femmes et d’hommes comme vous et moi. Ils se protègent mutuellement au détriment des lois et règlements régissant les institutions et les affaires. Le combattre ne voudrait pas dire écarter toute personne qui de près ou de loin y a participé ou en a bénéficié car cela voudrait même dire écarter le « petit » enseignant qui, loin d’en faire partie, vit de ses résidus.

Pour mieux le schématiser, dans nos sociétés africaines, c’est comme une « caste », ce qui ne doit pas être cautionné dans une société.

El Bachir Kanouté, Ingénieur Business Intelligence

Pour moi, tout opposant politique qui lutte contre le système a de facto besoin du système pour se faire élire. Cela en rencontrant des personnalités influentes (propriétaires de chaîne de télé/radio, guides religieux, chefs d’entreprises…).

Sonko n’a d’autre choix que de composer avec le système et il devra rendre des comptes à celui-ci une fois élu.

La politique anti-France de Sonko, les discours anti-colonialistes ne sont autres que des paroles qui lui servent à consolider sa base électorale et rassembler autour de lui une opposition quasi-inexistante face au président sortant.

Fatou Maréga, Téléconseillère

En réalité, la question essentielle à se poser sur lui est celle de savoir s’il s’agissait d’un vrai « anti-système » dans le sens premier du terme.

Pour ce qui est des sympathisants devenus sceptiques, il pourrait s’agir de personnes qui sont allées un peu trop vite en besogne concernant le gars et ses motivations réelles. Bref, ils ont été pris par le tourbillon de l’engouement

Je crois qu’en définitive, on oublie qu’il est un pur produit du système et ne saurait s’en départir aussi nettement qu’il tente de faire croire

Le fanatisme derrière lui est également inquiétant !

Ndoya Diop, Ingénieure informaticienne

Il sillonne le pays pour rencontrer les victimes et ceux qui l’ont soutenu durant les moments difficiles. Ce n’est pas parce qu’il rend visite aux gens du système qui fait de lui quelqu’un du système.

A mon avis, il doit s’ouvrir à tout le monde vu qu’il cherche à diriger le Sénégal et non pas une partie des Sénégalais qui le soutiennent ; c’est logique qu’il fasse preuve d’équité et d’égalité. Il doit dialoguer même avec ceux qui ont eu à le combattre dans le passé, c’est ça la maturité.

Après, oui, avec les révélations, forcément certains vont revenir sceptiques et circonspects. Mais c’est à la justice sénégalaise de prouver qu’il est innocent.

Séga Fall Mbodji, Ingénieur statisticien

Chacun de nous est un pôle constitutif du système car même si on n’y est pas un acteur interne, on contribue à son calibrage en tant que paramètre. Quelles que soient les ambitions politiques qui se cachent derrière les visites de Sonko, il doit garder à l’esprit une parabole : des villageois ont voulu immoler une chèvre. Dans tout le village, il n’y avait qu’un seul couteau. Le jour du sacrifice, le couteau était introuvable. Ils ont passé toute la matinée à chercher le couteau en vain. Finalement, ils décidèrent d’annuler le sacrifice. La chèvre réjouie se mit à danser et sauter de joie… jusqu’à déterrer le couteau !