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Farba Senghor, ancien ministre sous Abdoulaye Wade: « Le 23 juin représente la victoire de la violence sur la démocratie » Entretien dirigé par Charles Thialys SENGHOR, Desk politique, Le Devoir

Ministre et responsable au parti démocratique en charge de la mobilisation et de la propagande, Farba Senghor était un témoin privilégié des événements du 23 juin 2011 qu’il refuse de commémorer, estimant qu’ils représentent la victoire de la violence sur la démocratie. Avec lucidité et hauteur, notre interlocuteur en appelle à la conciliation et à la réconciliation, pour voir des frères adversaires qui se regroupent uniquement pour le bien du pays. Farba Senghor n’a pas fêté le 23 juin 2021 parce qu’on ne peut pas se retrouver à la place de l’Obélisque où certains chantent leur victoire sur les autres qui ruminent leur détresse du 23 juin 2011.

En tant qu’ancien ministre et ancien chargé de la propagande et de la mobilisation au sein du Pds, que retenez-vous des manifestations du 23 juin 2021 ?

Le 23 juin reste la victoire de la violence sur la démocratie à cause d’une manifestation violente qui a débouché sur l’arrêt de la marche constitutionnelle, de la marche démocratique du pays.

Pourquoi ?

En réalité, le président Abdoulaye Wade avait, dès le 22 juin 2011, autorisé une manifestation multiforme avec d’une part l’opposition et d’autre part le pouvoir. Il m’avait même remis un croquis pour Ousmane Ngom, ministre de l’intérieur d’alors, pour que les manifestants soient canalisés de part et d’autre et que personne n’empiète sur l’espace de son vis-à-vis. Mais, malheureusement, les manifestations ont débordé. Il y a eu des saccages, des destructions de biens privés et publics dont plusieurs de mes voitures et de mes deux maisons. Tout ce qui était à l’intérieur a été brûlé. Donc, ce que je peux retenir sur ce point-là, c’est qu’à partir du moment où l’action entreprise par le président a été arrêtée par ces manifestations, tous les Sénégalais se sont dit que maintenant pour arriver au pouvoir, ou dans l’administration, la seule solution, c’est la violence. Et c’est ce qui continue jusqu’à présent.

S’il y a eu des manifestations violentes cette année, c’est notamment à cause de ce que je viens de vous dire. C’est le fait que les manifestations du 23 juin n’ont pas été punies. Les auteurs n’ont pas été recherchés. Il y a une totale impunité. Ce qui fait que tout le monde pense qu’on peut détruire les maisons des dignitaires, les édifices de l’Etat sans rien encourir. A l’époque, le restaurant de l’Assemblée nationale et d’autres biens de l’Etat ont été saccagés et brûlés et personne n’a été inquiété. Donc maintenant tout le monde pense être son propre justicier. C’est ce qui a amené l’ampleur des destructions constatées cette année, qui ont causé des morts.

Peut-on dire que la justice est fondamentale sur ces événements ?

Pour moi, deux choses sont fondamentales : il faut que l’impunité soit étendue à tout le monde, aux hommes du pouvoir et à ceux de l’opposition. Quand quelqu’un commet un délit contre l’Etat ou contre des particuliers, il faut que l’Etat sévisse. Si on ne le fait pas, le Sénégal va déboucher sur de l’anarchie. D’ailleurs, on est en train de vivre. Donc, personnellement j’en profite pour demander réparation de tous mes biens qui avaient été détruits.

Pourquoi n’étiez-vous pas présent à la commémoration du 23 juin, aux côtés vos alliés de la majorité présidentielle ?

Je n’étais pas présent parce que je ne pouvais pas être à côté des auteurs des destructions des biens publics et privés dont mes biens, pour commémorer une fête qui célèbre l’ascendance de la violence sur la démocratie parce que président Abdoulaye Wade avait autorisé une manifestation pacifique qui a débordé pour devenir une manifestation violente. Je veux dire que sur ce point-là, il y a de l’impunité. Et avant cette commémoration, il fallait arriver à la réconciliation des cœurs, faire de telle sorte que les victimes et leurs bourreaux puissent dire stop à ce qui s’est passé. Même si on n’oublie pas, qu’on fasse table rase et qu’on se retrouve autour d’une table pour dire plus jamais ça.  Plus jamais une manifestation violente contre le pouvoir ou contre l’autorité pour aller vers la construction d’un Sénégal nouveau où il y a une entente, où les manifestations pourront se tenir de manière pacifique. Pour exprimer des revendications sans qu’on ça ne débouche sur des tueries ou des incendies ou saccages. Si ce n’était pas ça, je ne me serais pas gêné de m’asseoir à côté d’eux. Parce que nous avons déjà fait un pas extrêmement important sur ce qui s’est passé : c’est d’avoir été dans une salle avec les leaders de la conférence de Benno dont le président de la République, Macky Sall, Landing Savané, Idrissa Seck, Aminata Mbengue Ndiaye, Robert Sagna, Moustapha Niass. Donc c’est ça l’expression d’un Sénégal qui marche où on a des frères adversaires qui se regroupent uniquement pour le bien du pays.

Mais pour que cela soit sincère, il faut des réparations comme ça se fait dans toute démocratie, quand il y a des destructions. Cela permettra une réconciliation des cœurs. Mais, on ne peut pas se retrouver à la place de l’Obélisque où certains chantent leur victoire sur les autres qui ruminent leur détresse du 23 juin. Ce n’est pas possible.

Comment comprenez-vous l’opposition qui revendique le 23 juin ?

Je pense que ce n’est pas du tout sérieux parce que l’histoire est une reconstitution des faits. Il y a des auteurs bien déterminés qu’on connait bien, que ce soit du côté de l’opposition, du pouvoir ou des activistes. L’histoire les retient. Maintenant, si on veut parrainer tout ça, sur la base d’une situation nouvelle qui a été créée par les événements de Ousmane Sonko, je pense que ce n’est pas sérieux. L’histoire appartient à des hommes bien déterminés et les événements on ne peut pas les transformer. Le M2D ne peut revendiquer le 23 juin.

Maintenant je pense que le Sénégal a péché en célébrant le 23 juin comme étant une victoire sur le pouvoir. Cela peut encourager les jeunes à penser que c’est la meilleure solution pour arriver au pouvoir, qu’on doit faire partir ceux qui sont là, en brûlant leurs maisons. C’est mauvais comme enseignement. Il fallait s’arrêter pour voir ce qui n’a pas marché ce jour-là, pourquoi il y a eu ce débordement de violence. Nous devons apprendre à exprimer nos mécontentements sans violences, pour éviter des débordements qui pourraient déboucher sur cette violence avec ces morts et ces destructions.

Qu’est-ce que vous auriez conseillé à vos alliés du pouvoir ?

On aurait dû tenir un forum avec tous les acteurs et les jeunes qui sont venus après pour regarder de manière sereine ce qui s’est passé le 23 juin, ce qui n’a pas marché. C’est vrai que le mécontentement doit être exprimé mais il faut aussi sauvegarder l’Etat garant de la sécurité des personnes et des biens. Donc, il ne faut pas qu’une frange de la population empiète sur le pouvoir de l’Etat pour s’ériger en justiciers. Il faut qu’il y ait une justice pour tout le monde. Donc, l’Etat doit faire qu’il n’y ait plus de violence. Et pour cela nous devons déterminer les contours de notre démocratie. Pour dire jusqu’où on peut aller et les barrières à ne pas franchir, dans les médias, les réseaux sociaux et les manifestations sur le terrain.  Sinon, on va tomber dans des violences incontrôlables où il sera difficile pour l’Etat de parer à toute éventualité.