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En Mémoire De Mon Père, Mémoire en résumé sur le parcours d’un homme, Cheikh Matene Fall 1912-1981 Par Me Cheikh Abou Mohamed Fadle Fall

Cheikh Matène Fall est né le 15 janvier 1912 à Rufisque, de parents venus de Saint-Louis du Sénégal mais originaires de par son père, d’un village du Cayor dénommé Ngalick.

Il a eu pour contemporains et condisciples à l’école primaire de Rufisque Ousmane Socé Diop, Abdoulaye Sadji et Joseph Mbaye.

Après son passage dans l’armée française qui l’a mené à Clermont Fernand en France, il est revenu dans son pays.

Quelques années après, Hitler devait plonger le monde dans une guerre dont une des nombreuses conséquences a été l’occupation de la France et la reddition de ses chefs de l’époque dont le maréchal Pétain.

Cette époque avait trouvé Cheikh Matène Fall à l’intérieur du Sénégal, à Saboya, où l’avait envoyé une compagnie commerciale française pour le compte de laquelle il travaillait.

L’appel du 18 juin du général De Gaulle au nom de la France libre avait poussé des Français résidant au Sénégal à multiplier leurs efforts pour le rejoindre dans le cadre de la Résistance, dans la clandestinité.

Le Gouverneur Général du Sénégal d’alors faisait partie des Français qui ayant, à l’instar de Pétain,  accepté l’Occupation, étaient qualifiés de « collabos ».

Deux Français qui voulaient rejoindre le général De Gaulle, cherchant à passer à travers les mailles des services de renseignement français, croisèrent Cheikh Matène Fall à Saboya. Ils lui demandèrent leur chemin afin de pouvoir se rendre en Gambie, d’où ils pourraient rallier l’Angleterre pour faire partie des troupes du général résistant.

Lâchés sur les traces de ces patriotes français, des agents des servies de renseignement arrivèrent plus tard à Saboya. Ils s’informèrent auprès des villageois sur un passage éventuel de ressortissants français dans le secteur. Ces derniers, majoritairement craintifs et analphabètes, leur répondirent comme un seul homme que la seule personne sachant parler français dans le village était le traitant Fall.

C’était suffisant pour les agents de renseignement poursuivants pour mettre Cheikh Matène Fall aux arrêts et le faire comparaître plus tard en pleine guerre mondiale devant une cour martiale pour ce qui serait qualifié de nos jours de « complicité d’atteinte à la sûreté de l’État français » collaborationniste du maréchal Pétain évidemment.

Il n’obtint sa libération qu’avec l’armistice entraînant la fin de la guerre. L’Armée allemande venait d’être défaite.

Cet épisode de sa vie témoigne du caractère de Cheikh Matène Fall d’avoir toujours cherché à combattre en faveur des causes justes et contre les oppressions de toutes obédiences.

Cet événement sera déterminant ultérieurement au plan politique et social, jusqu’à la fin de sa vie le lundi 5 octobre 1981 à Kaolack.

Au plan politique

La vie politique du Sénégal post Deuxième Guerre Mondiale a vu l’émergence de personnages clé qui s’avéreront plus tard marquants pour l’avenir de ce petit pays plein de grands hommes et logé au point le plus avancé du continent africain.

Maître Lamine Guèyre et le professeur Léopold Sédar Senghor ont animé par la suite deux entités politiques, la SFIO et le BDS.

Lors de leurs luttes pour présider aux destinées du pays de Ndiadiane Ndiaye, Cheikh Matène Fall s’était rangé du côté de Lamine Guèye, dont l’altruisme, l’humanisme et le patriotisme vis-à-vis des jeunes qu’il fallait aider en leur trouvant des bourses d’études à l’étranger l’avaient convaincu.

L’appartenance de Lamine Guèye à l’une des Quatre Communes et son statut de musulman avaient fini de le rattacher à sa cause.

Originaire des Quatre Communes mais évoluant en milieu paysan en raison de son activité professionnelle de traitant, Cheikh Matène Fall devait inéluctablement se heurter à Senghor lors des campagnes électorales.

Le flair politique de Senghor l’avait incité à se rabattre sur le monde paysan, plus nombreux, afin d’engranger le maximum de voix le moment venu.

L’une des armes de campagne de Senghor contre Cheikh Matène Fall militant de la SFIO avait été de faire croire aux paysans, qui constituaient sa clientèle essentielle, que ce dernier aspergeait d’eau les arachides destinées à l’exportation.

A la pesée, l’arachide pouvait peser lourd mais à son débarquement en France, après l’assèchement subi en cours de route, l’arachide devenait non seulement de mauvaise qualité, mais pesait moins que ce qui était marqué à l’embarquement.

La colère grandissante des paysans à l’annonce de cette fausse information par le Président Senghor les avait conduits à se liguer contre Cheikh Matène Fall, promettant de le lyncher dès son arrivée à Saboya.

Cheikh Matène Fall, pour qui il en fallait plus pour l’effaroucher, jurant sur son marabout Cheikhna Cheikh Saad Bouh, partit de Keur Madiabel où vivait son frère Abdou Fall, à la tête d’une bande de jeunes à bord de son pick-up et descendit à Saboya armé de son fusil.

Il n’eut pour tout résistant prêt à mettre une quelconque menace à exécution qu’un silence de cimetière. La guerre de Troie n’eut jamais lieu faute de combattants.

Cette histoire se raconte de nos jours dans les demeures du village de Saboya et auprès de ces jeunes qui avaient embarqué et dont bon nombre sont devenus à ce jour des notables. Monsieur Sall, à l’époque infirmier à Saboya, rencontré plus tard dans les années 2000 à Mbour disait de lui qu’il se séparait rarement de ce fusil.

Le compagnonnage de Cheikh Matène Fall avec Lamine Guèye s’est accompli également à côté du célèbre marabout El Hadji Ibrahima Niass, qu’il appelait affectueusement Sidi Ibra.

Plus tard, la fusion de la SFIO avec le BDS ne l’amena cependant pas à cheminer dans une entité où il risquait de croiser Léopold Sédar Senghor, dont il ne partageait nullement la vision.

Il préféra plutôt soutenir Cheikh Anta Diop, qu’il jugeait plus patriote et plus sincère.

Ce dernier confiera plus tard à un de ses fils qu’il se rappelait de lui, de son engagement, et qu’ils étaient les premiers à avoir subi les foudres du régime de Senghor.

L’affaiblissement et la dislocation du parti de Cheikh Anta ne l’amena cependant pas à convoiter le pouvoir en place incarné par Senghor et ses inconditionnels.

Telle position le concernant était connue de bon nombre de ses concitoyens et de certains hommes politiques, si bien que le Président Abdoulaye Wade, à son retour de Mogadiscio, où il venait de rencontrer le Président Senghor pour la création d’un parti d’opposition sous la pression de l’Internationale Socialiste, l’avait directement contacté afin de participer à l’érection de son parti.

A une époque où la classe politique universitaire et ouvrière qui osait défier Senghor était pour la plupart dans la clandestinité, où d’autres, par peur des représailles, n’osaient piper mot contre le pouvoir en place, où certains encore étaient exilés ou tout simplement emprisonnés et exécutés froidement en secret, Cheikh Matène Fall accepta l’invitation de Maître Abdoulaye Wade pour la renaissance d’un Sénégal délivré de tout complexe et enfin libre.

Les jeunes qu’il trouva dans cette formation naissante lui donnèrent regain de foi en un avenir politique sénégalais radieux et prometteur et avaient pour noms : Serigne Diop, Pathé Mbodj, Souleymane Diop (à moins d’une erreur sur le prénom de celui-ci, en tout cas auteur d’un article de l’époque, titré « Sénégal: 15 ans, ça suffit » paru dans le journal du PDS, le Démocrate).

Grâce à lui, Abdoulaye Wade avait gagné à son parti d’importantes personnalités du Sine Saloum politique dont Nguissaly Diaw, Thierno Ndaw, Thierno Samb à Kaolack, Ibra Loum à Colobane etc…parmi tant d’autres.

Cheikh Matène Fall était un farouche combattant sans peur. Cependant, il avait une faiblesse. Il était profondément humain et croyait en certaines valeurs dont l’amitié et la fidélité.

Aussi, pour chercher à déstabiliser le PDS, qui menaçait dangereusement ses positions, le rusé Senghor n’eut-il d’autre recours que d’utiliser le Ministre Babacar Ba fils d’un de ses anciens amis Momath Betty Ba, avec qui il avait vécu et paratagé de beaux jours à Saboya.

Devant son refus catégorique et voulant coûte que coûte l’avoir à sa cause, Babacar Ba puisa de toutes ses forces dans les souvenirs de cette amitié pour lui faire changer de position. Des notables de la ville de Kaolack furent appelés à la rescousse parmi lesquels feu Massamba Sassoum ainsi que son unique frère germain feu El Hadj Abdou Fall afin de le convaincre et faire taire ses enfants qui étaient tous contre cette manœuvre.

Homme honnête et sincère, Cheikh Matène Fall comprit plus tard qu’il s’était fait avoir politiquement.

C’était incompatible avec le sens de l’honneur, de la bravoure et de la témérité qui faisaient sa personnalité. Il n’en fallait pas plus pour qu’il décidât de se retirer du terrain politique, où une nouvelle race d’acteurs plus jeunes, nourrissant des ambitions certaines, venaient de poser leurs marques.

Jusqu’à son rappel à Allah le lundi 5 octobre 1981, Cheikh Matène Fall avait pris du recul vis-à-vis de la politique.

Un de ses fils, Abdou Khadre Fall, plus connu sous le diminutif de Khadre, a hérité de lui son courage et sa témérité, ce qui lui a permis, à travers plusieurs articles de presse très critiques, de s’en prendre au régime d’Abdou Diouf, dont il se plaisait à dénoncer les écarts à travers le journal le Sopi du PDS.

Cet ancien instituteur, n’ayant certes pas été formé dans une école de journalisme, n’en présentait pas moins certaines aptitudes appréciables.

A côté de la formation professionnelle est la déontologie du métier ; élément indispensable dans toute profession dont il ne s’est jamais écarté. Avec l’un des pères de la presse indépendante et satyrique du Sénégal Mame Less Dia il a contribué à l’avènement d’un type nouveau de journal, le Politicien.

Pour à Cheikh Matène Fall sa vie aura servi de levier chez certains jeunes, dans son entourage et dans sa famille.

Il subsiste toujours de lui, dans certains milieux politiques, l’image d’un homme courageux, franc, loyal et fidèle ; n’acceptant d’être le courtisan ou le flatteur de quiconque. Valdiodio Ndiaye disait de lui que Matène Fall était le seul parmi ceux qui le fréquentaien à lui dire la vérité.

Au plan social

L’enfant de Rufisque s’est très tôt confronté dans sa ville natale à une vie de combats en milieu principalement Lébou où tous ceux dont les parents étaient originaires des autres régions du Sénégal étaient appelés « Adior ».

De là, il a appris à se forger une autorité afin de s’imposer, de défendre ceux de ses congénères qui vivaient la même situation que lui mais dont les moyens physiques ne leur permettaient pas de se battre. Il prenait le parti des personnes âgées face à des jeunes à l’insulte facile. De retour dans son quartier de Dangou à la fin de son service militaire, plusieurs de ces personnes âgées dont il prenait souvent la défense n’en finirent de lui manifester leur gratitude, ayant souffert durant son absence de l’insolence de certains jeunes du quartier.

Il n’est nullement exagéré de dire à l’endroit de Cheikh Matène Fall qu’il prenait, chaque fois qu’il était sollicité, la défense du faible, de l’opprimé, de la veuve et de l’orphelin.

Votre serviteur a recueilli d’un de ses contemporains, il n’y a guère, vers 2008-2009,  que Cheikh Matène Fall était l’une des rares personnes vers qui se tournaient les victimes de l’oppression des toubabs et des Libanais du temps de la colonisation. (Témoignage de Abdou Karim Fall transporteur, sauf erreur ou omission de ma part, je ne suis plus certain de son prénom mais le nom patronymique est sûr.)

Dans ce chapitre, un des jeunes qu’il avait pris dans son pick-up pour se rendre à Saboya quand il était calomnié par Senghor a raconté un incident lors duquel Cheikh Matène Fall, envoyé par feu Ibrahima Seydou Ndao pour mettre fin aux exactions d’un administrateur colonial français à Keur Madiabel, avait sévèrement corrigé ce dernier.

L’affaire avait fait du bruit en son temps et avait atterri sur le bureau du Gouverneur Général de l’époque qui avait, en toute honnêteté et justice, donné tort à cet administrateur dictateur et terreur des paisibles paysans.

Cheikh Matène Fall n’était pas seulement un redresseur de torts. Il se battait aussi pour la cause des élèves dont les études étaient compromises ou qui faisaient l’objet de rejet de leurs parents.

Pour une partie d’entre eux, il agissait en leur fournissant tout simplement les moyens d’étudier. A d’autres ils se faisaient leur avocat auprés des autorités académiques pour leur réadmission ou leur recasement. Certains de ces jeunes, qui sont encore vivants, en feront peut-être le témoignage un jour.

Installé plus tard à Kaolack où tous ses enfants sont nés, il avait encore gardé des relations étroites avec ses amis de sa ville natale dont feu Joseph Mbaye, qu’il rencontra ultérieurement à Dakar, à la Gueule Tapée.

Les lutteurs originaires de la vieille ville acceptaient également de descendre chez lui lors de leurs compétitions, dont Bismi Ndoye ou un autre du nom de Diakhaté originaire du quartier Diockoul.

La création de l’association des ressortissants de Rufisque lui avait permis de maintenir le contact avec ceux de cette ville qu’il avait retrouvés à Kaolack.

Au quartier Leona où il habitait avant de se retrouver au quartier Sam puis à Médina Baye, il entretenait partout des relations de paix avec ses voisins.

Les amis de ses fils et les jeunes de manière générale trouvaient plaisir à s’asseoir avec lui pour discuter de culture générale et de politique.

Victor Hugo, qu’il aimait tant de par ses œuvres, revenait très souvent dans ses discussions  avec les jeunes, tout comme la chanson de Rolland qu’il se plaisait à réciter par cœur, ainsi que le texte de Corneille, retraçant le dialogue de Don Diègue le Comte et le Cid.

Bien que fervent musulman d’obédience khadriya, ce qui lui a valu le titre de Cheikh, il n’en gardait pas moins une ouverture d’esprit dans ses lectures et ses loisirs.

A part les auteurs littéraires français, ils dévoraient  les romans policiers et d’espionnage et appréciait à cet effet Adam Saint Moore, le créateur du personnage Gunther et Paul Keny, le créateur de Coplan, personnages fictifs du contre-espionnage, ou même son Son Altesse Sérénissime Malco Linge.

Ses lectures s’étendaient aussi à San Antonio, à l’humour sarcastique, et à James Hadley Chase, excellent auteur d’énigmes policières.

Pour son époque, il est permis de dire que Cheikh Matène Fall ne manquait pas de longueurs d’avance sur la plupart de ses congénères.

Cette prédisposition mentale lui a permis d’avoir d’excellentes relations avec des entités administratives affectées à Kaolack, en raison des relations qu’il avait eues avec leurs parents ou parce qu’ils étaient simplement originaires de sa ville natale.

Avec la classe religieuse, à part les chefs de son obédience khadriya, El Hadj Ibrahima Niass fut celui avec qui il tissa le plus de relations.

Il n’en était pas moins connu des autres représentants de confréries religieuses, qui voyaient en lui un homme respectable, courageux, digne et serviable.

Le frère de son mentor religieux Chérif Ahmadou ould  Khalifa disait de lui « Cheikh Matène Fall, jambaar ci walu aduna, jambaar ci walu yallah ».

Né un lundi 15 janvier 1912 au quartier Dangou Sud de Rufisque, il quitta ce bas monde un lundi 5 octobre 1981 juste au moment où il terminait ses ablutions. Allahou Akbar.

Quelques minutes auparavant, il venait de lire le chapitre de prières sur le Prophète (paix et salut sur lui) relatif au jour du lundi du livre de prières sur le Prophète (PSL) intitulé DALA’ILOUL KHAIRATT.

Aussi bien ses enfants que ceux qui l’ont connu et aimé peuvent être fiers de lui et trouver en lui un symbole de courage, de rectitude et de foi.

Tel est en résumé, le parcours d’un homme qui n’avait de crédo que l’action sincère et l’attachement aux valeurs qui font d’un homme ce qu’Allah le Tout-Puissant recommande.

Fait à Mbour le dimanche 15 décembre 2019.

Cheikh Abou Mohamed Fadle Fall

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