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Élection présidentielle en France: L’extrême-droite, les immigrés et les relations France/Sénégal Par Ababacar Sédikh DIAGNE

Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, Mme Marine Le pen, en visite dans ce qui semble être une cuisine communautaire, a eu des échanges avec deux employées noires.

Sans précaution de langage ni respect minimal, elle dit à l’une de ses interlocutrices que si elle accédait au pouvoir, elle serait expulsée de la France. La remarque de la dame sur ses vingt cinq années de présence comme travailleur n’a suscité qu’indifférence voire un mépris non dissimulé de la part du leader du parti d’extrême-droite.

Elle justifie cette potentielle décision en disant en substance : « Il y’a sept millions de Français au chômage et, en conséquence, il n’y a pas de place pour les émigrés dont les problèmes doivent être résolus par leurs propres pays ». En poursuivant, elle dit ne se soucier que des Français. Et exclusivement, pourrait-on ajouter.

Cet épisode rappelle celui où elle a dit que la prière des Musulmans le vendredi dans les rues attenantes aux mosquées lui remémore le temps de l’occupation de la France par les nazis.
Dommage que ses interlocuteurs n’aient pas rappelé la contribution des ressortissants des colonies dans la libération de la France de la domination allemande, dans la reconstruction et la relance de l’industrie, dans la production agricole, etc…

Blanchir les Nègres et l’honneur est sauf

Un peu de connaissances historiques lui aurait évité ce contresens.

Le général Philippe de Hautecloc, plus connu sous le nom de Général Leclerc, a eu comme compagnons de combats des soldats noirs et arabes, lesquels se sont battus contre les Allemands dans divers théâtres d’opération dans le désert libyen en Tunisie à Toulon.

Arrivée en banlieue parisienne, la colonne Leclerc composée de soldats non européens fut “blanchie” pour créer le mythique de la France libérée avec une significative contribution de ses citoyens.

Par ailleurs, alors que la France a vis-à-vis des pays industriels majeurs des déficits commerciaux chroniques, elle est très excédentaire par rapport aux pays de ces immigrés dans le cadre d’échanges déséquilibrés imposés dans de subtils mécanismes mis en place par les États qui dominent les institutions de Bretton Wood.

La culture dont a parlé cette xénophobe ainsi que la science doivent beaucoup à des étrangers dont les noms pour certains ont été francisés. Je pense notamment au physicien /mathématicien Lagrange (italien), à Marie Curie (polonaise), à Joséphine Baker (Afro-Américaine), Raymond Devos, belge comme Johnny Hallyday, le mathématicien Mandelbrott (le découvreur des fractales), et bien d’autres.

Leur astronautique (les fusées) doit beaucoup aux ingénieurs et scientifiques allemands.

Dans les arts (peinture), on peut penser à Picasso et Dali (espagnols).

Dans le cinéma, il y’a Costa Gavras (Grec) et l’acteur Yves Montant de son vrai nom Yvo Levy (italien).

On se souvient du jeune poète Léopold Sédar Senghor qui promettait de déchirer les affiches banania, féroce caricature du Noir, avec une phrase du langage “petit nègre” comme il se disait à l’époque : “Y’a bon banania”.

Il s’agissait là d’un exemple d’une série d’affiches dans lesquelles sont dites crûment des idées toujours d’actualité mais ensevelies de nos jours sous une épaisse couche d’hypocrisie.

À une certaine époque, “du temps des colonies” (chanson d’un Michel Sardou dans laquelle transparaît un racisme assumé), l’euphémisme n’avait pas sa place dans le discours de la France civilisatrice.

Le propos était sans fard et le sentiment, ou plutôt le complexe de supériorité, était bien partagé avec des cautions scientifiques, religieuses et intellectuelles.

Les victimes de tels préjugés se trouvaient aussi en France. Les Cagots en savent quelque-chose , eux qui ont souffert d’une terrible discrimination jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle. Leur sort était proche de celui des intouchables indiens.

Ne parlons pas alors des Cathares véritablement exterminés ou des Juifs avec l’immixtion du grand Bonaparte dans le Sanhédrin, lequel leur a intimé l’ordre de se prononcer sur la hiérarchie au niveau de leur communauté entre leurs textes sacrés et les lois de l’Etat, tout en s’interrogeant sur leur loyauté vis-à-vis de la France leur pays.
Ceci n’est pas sans rappeler le cas des musulmans, à notre époque, sommés eux aussi de dire quelle hiérarchie ils donnaient aux textes islamiques par rapport à ceux de la République.

Manque de culture

Les xénophobes, comme cette digne fille de Jean-Marie, manquent de culture et de connaissances historiques et géopolitiques sinon elle ne tiendrait pas des propos aussi hostiles aux immigrés à défaut de la reconnaissance que tout Français doit à leurs ancêtres.

Il en est de même du cas d’Eric Zemmour, lequel a voulu bâtir sa popularité sur la haine des musulmans ; lui aussi !

Dans plusieurs articles, des journalistes essayent de rendre présentable Zemmour qui n’accepte pas le plus élémentaire des principes qui permettent à chacun dans une société de vivre selon ses propres options tout en respectant celles des autres.

À contrario, un autre candidat, féru d’histoire et à la gauche de l’échiquier politique hexagonal, rappelle régulièrement le caractère hagiographique du roman national français et la place peu enviable qui y est faite aux allochtones notamment africains.

Il fait régulièrement des rappels utiles sur les rôles positifs des immigrés dans l’économie de leur pays d’accueil, la France.

Il propose des réformes qui amélioreraient significativement le situation sociale et économique des travailleurs, donc des immigrés aussi.

Il préconise aussi une redistribution plus équitable des revenus entre les différentes classes sociales.

Toutefois, la progression de la part du travail dans la répartition des gains des entreprises a très souvent sinon toujours rencontré une vive opposition des milieux d’affaires voire des gouvernants.

Selon ces derniers, toute réforme favorable aux travailleurs constituerait les prémices d’une catastrophe économique en devenir.

Rien n’est plus faux que cette assertion.

Sans les congés payés, le tourisme devenu un secteur économique important, n’aurait jamais connu le développement avec l’ampleur qui fut la sienne au vingtième siècle. Et là n’est qu’un seul exemple parmi tant d’autres.

Les thèses de Mélenchon sont hélas trop radicales pour une majorité d’électeurs français qui ont le dernier mot en matière d’élections, d’où ses chances bien limitées de remporter les prochaines présidentielles au pays des Brigitte Bardot, Marine Le Pen, Eric Zemmour mais aussi et heureusement de Pierre Perret, Georges Brassens, d’Emile Zola et de Georges Pompidou me, l’ami de notre ancien président de la République l’agrégé et membre l’Académie …. française !

Ces derniers développements montrent, indubitablement, que si le racisme prospère en France, il y existe aussi une forte majorité qui fait vivre encore l’amitié et la fraternité avec certains pays africains dont le Sénégal au niveaux culturel et intellectuel.

Au plan économique, il est nécessaire que les relations soient plus justes et équilibrées.

Il ne faudrait plus aussi que des entreprises françaises viennent nous vendre de coûteux projets à l’utilité douteuse ou viennent accaparer les secteurs les plus rentables de notre économie sans y laisser la place légitime aux Sénégalais.

Compte tenu tout ce qui précède, il serait temps qu’un État comme le nôtre réfléchisse sur les conséquences d’un accès au pouvoir en France de l’extrême-droite sur ses relations ce pays.
Une telle éventualité ne relève plus de la politique fiction.

Dans certains pays, des résultats d’élections totalement imprévus ont amené au pouvoir des individus qu’on pensait inaptes à l’exercice du pouvoir d’État. Et pourtant des personnalités singulières dans les milieux politiques ont été élues, notamment en Amérique du nord, en Europe septentrionale et du Sud.

Si une surprise de cette nature advenait en France, les relations avec ce partenaire de premier plan connaîtraient d’importants bouleversements.
Cependant, le Sénégal ne serait pas nécessairement le perdant dans une telle éventualité.

 

Ababacar Sadikhe DIAGNE, Ingénieur de l’aéronautique civile diplômé de l’ENAC Toulouse France et du Massachusetts Institute of Technology Cambridge USA

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Nota

(1)”Le 16 décembre 1942, Leclerc est à Zouar en inspection. Il lance le 22 décembre l’offensive sur le Fezzan et conduit sa colonne, forte de 4.000 Africains et 600 Européens appuyés par le groupe aérien Bretagne, à Sebha le 12 janvier, Mourzouk le 13 et Tripoli le 25. Le 2 février 1943, il rencontre à Ghadamès le général Delay, commandant le front Est du Sud algérien”