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Curieuse posture d’un Baron du régime: Toujours “chargé”, Amadou, se débat Par Mame Gor NGOM, Rédaction centrale, Le Devoir

Amadou Bâ est un homme qui marche sur des œufs et évite d’en casser. Du pur talent, non ?

Tout-puissant ministre de l’Économie et des Finances, Amadou Bâ est devenu, un “homme sans portefeuille” après un passage à la tête du département des Affaires étrangères. Mais, même en retrait, il continue de subir les coups de ses “frères” de parti qui voient en lui un futur adversaire du président de la République Macky Sall. Ses dénégations n’y changent rien.  Il garde la sérénité. En apparence. Malgré tout.

Amadou Bâ n’a pas changé de démarche même s’il est souvent “chargé”. Le samedi 8 mai 2021, lors de la rencontre des femmes de l’Alliance pour la République aux Parcelles Assainies, il a encore essuyé des critiques à peine voilées du chargé de la marche des structures de l’Alliance pour la République (Apr).  Pour Mbaye Ndiaye, l’ancien ministre des Affaires étrangères “ne doit pas écouter les gens qui vous disent que c’est toi plutôt que d’écouter le président Macky Sall. Personnellement, je n’ai jamais dit à qui que ce soit de vous soutenir”. Il ajoute : “Que les gens arrêtent d’être des hypocrites. Celui qui m’intéresse, c’est le président Macky Sall. Je dirai aux Parcellois de vous soutenir mais dans la logique d’être auprès du président Macky Sall”. Une manière claire de montrer à ce responsable local de l’Apr, à qui on prête de grandes ambitions, de “faire attention”.

Comme prévu, la réponse d’Amadou Bâ est tombée : « Avant de venir faire de la politique ici aux Parcelles Assainies, j’avais déjà fait trois ans dans le gouvernement. Nous ne sommes pas en chefferie, ici. Ce qui importe c’est l’engagement auprès des populations des Parcelles, prendre en compte leurs préoccupations et surtout travailler dans l’unité. C’est extrêmement important… »

Comme pour montrer des gages de fidélité, Bâ est allé jusqu’à dire que les billets pour La Mecque qui ont été offerts lors de cette rencontre, “c’est au nom du président de la République”. Sa posture consiste ainsi à montrer qu’il ne “sera que ce que Macky voudrait qu’il soit”.

La vie politique de cet inspecteur des Impôts et des Domaines est ainsi faite depuis 2013, quand il a été nommé ministre de l’Économie et des finances en remplacement d’Amadou Kane : obligé de tisser sa toile discrètement tout en résistant aux coups de boutoir de ses “frères ennemis”, comme le chef de cabinet du président Mame Mbaye Niang.

Profil…bas

Aux Parcelles Assainies, populeux quartier de la banlieue de Dakar, il compte parmi les responsables les plus en vue. Lors des dernières législatives, il a pesé de tout son poids, pour la victoire de sa coalition Benno Bokk Yakaar devant Taxawu Sénégal, large coalition dirigée par Khalifa Sall, alors en prison. Dans cette “équipe adverse” se trouvait un certain Idrissa Seck aujourd’hui en bonne place avec Macky. Moussa Sy actuel maire des Parcelles assainies devenu allié du pouvoir était aussi un de ses adversaires.

Au terme de ces législatives de 2017, après sa victoire à notamment, il a eu le triomphe si modeste : « Je suis sûr que sans la Première Dame, on n’aurait pas obtenu les résultats enregistrés », affiche Bâ, sans hésiter. Une façon à lui, de “magnifier les efforts” de la Première Dame Marième Faye. Des mots répétés à l’envi après le triomphe de 2019 à la Présidentielle. Un clin d’œil appuyé à l’épouse du chef de l’État alors qu’il quittait son poste de ministre de l’Économie pour celui des Affaires étrangères. Un changement qu’il ne prenait pas pour une sanction. Du reste, manifestement.

C’est aussi avec beaucoup de philosophie et de…diplomatie qu’il a appris sa défenestration du Premier novembre 2020.  Après sept longues années passées dans le gouvernement, il opte pour le silence. Ses rares apparitions sont notées lors des visites de courtoisie ou lorsqu’il s’agit d’aller au chevet de militants ou parents en difficulté comme c’était le cas au courant des fameuses inondations qui ont touché Dakar et sa banlieue.

Persévérance…

Amadou Bâ se veut persévérant. Il fait le “dos rond” et encaisse sans broncher. “Il joue bien le jeu, reste stoïque et est conscient de son poids”, analyse un observateur qui a suivi la carrière politique de cet homme grand comme un basketteur. “Il est très ambitieux mais pudique et calculateur”, poursuit-il.

Amadou Bâ aime rappeler qu’il est entré en politique grâce au président Sall qui, à un moment, lui a demandé d’adhérer à sa vision et de travailler à ses côtés. « Ce que nous avons fait lors du référendum. Il m’a ensuite fait confiance, me mettant tête de liste de Dakar aux dernières Législatives. D’ailleurs, je ne revendique jamais le titre de tête de liste”, estime-t-il comme pour couper court à ses pourfendeurs. “Ce qui est important, c’est de participer à une œuvre commune. C’est de manière collective, qu’on a eu des résultats », déclare Bâ. Il estime être un homme de devoir au service du chef de l’Etat. « Quand il me demande d’aller faire une mission, je le fais. Dès que la mission se termine, je retourne dans mes activités pour m’occuper de mes dossiers. Ce que je sais très bien faire ».

Interrogations légitimes

Poursuivi jusque dans ses derniers retranchements, M. Bâ n’a pas encore montré des signes d’irritation. Il est fort à parier qu’il rumine sa colère. Attend-t-il le bon moment pour entrer en rébellion ? Tout porte à le croire. A court et à moyen terme, il y a les élections locales de janvier prochain. Il devrait encore être “utilisé” pour assurer une victoire de son camp. Son “engagement et son entregent” seront sans nul doute sollicités comme lors des dernières échéances électorales. Il sera obligé de “mouiller le maillot” lui qui ne siège plus en conseil des ministres. Les législatives prochaines constituent aussi un autre rendez-vous de grande importance. D’ici là sera-t-il “réhabilité” ? Pour le long terme : il y a la Présidentielle de 2024. Des incertitudes sur la volonté de participation ou non de son “mentor” qui ne dit “ni oui ni non”. Si “oui”, serait-il le moment propice pour une rupture de ban ? Si “oui”, lui-même n’a-t-il pas des ambitions présidentielles comme le soupçonne-t-on avec insistance ?

Autant de probabilités et de questionnements sur la destinée politique d’un homme qui marche sur des œufs et évite d’en casser. Du pur talent non ?