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Contribution: Quelques fautes fréquentes dans les médias Par Mamadou AMAT

Contrairement à ce que certains prétendent, les journalistes ne sont pas les seuls à massacrer la langue de Victor Hugo. Qu’ils en donnent pourtant l’impression relève du fait qu’ils parlent et écrivent plus que les autres. Ils sont plus présents dans les médias, donc plus exposés. Mais chez les professionnels des autres branches issues de l’école française : médecins, avocats, magistrats, enseignants (eh oui !), etc., les abus de langage (pour rester poli) abondent. Et puis il y a des expressions, on ne les entend ou ne les lit qu’au pays de Senghor ! En voici un petit florilège.

A bord. La locution à bord s’utilise surtout pour une embarcation. Les deux côtés d’un navire sont tribord pour la droite et bâbord pour la gauche. Voilà sans doute pourquoi je n’ai pas du tout compris lorsqu’on m’a dit (ou j’ai lu) que les deux malfaiteurs qui ont agressé une pauvre femme se sont enfuis « à bord d’une moto ». Il aurait mieux valu dire qu’ils sont arrivés, qu’ils circulaient, qu’ils se déplaçaient à moto (et non en moto). Donc, la locution à bord ne doit s’utiliser que lorsque le sujet dont il est question se trouve à l’intérieur d’un habitacle : à bord d’une voiture, d’un avion ou du futur… train à grande vitesse.

Adversité. Généralement au singulier avec l’article défini, le mot adversité s’explique ainsi qu’il suit : « Sort contraire, circonstances malheureuses (deuil, revers de fortune, etc.) s’imposant comme une épreuve à subir ou à surmonter ». Donc il est tout à fait incorrect de l’utiliser comme on le fait de plus en plus dans notre pays, y compris de la part de grands intellectuels. On ne doit pas dire « adversité politique », mais peut-être « rivalité politique », « antagonisme », « compétition », « bataille », « concurrence », voire « inimitié »

Baccalauréat ou bac. Le baccalauréat, en abrégé bac, est le premier grade universitaire obtenu à la suite d’un examen qui termine les études du second degré, et qui confère le titre de bachelier. C’est un substantif masculin ou, si vous préférez, un nom commun. Voilà pourquoi aucun puriste de ma connaissance ne comprend pourquoi la plupart de nos journaux l’écrivent avec un B majuscule, même à l’intérieur d’une phrase. D’autres préfèrent l’abréger, mais, en croyant avoir à faire à un sigle ou un acronyme, ils écrivent le Bac, voire le BAC ! C’est à se demander si les auteurs de ces entorses ont le baccalauréat (ou bac).

Calendrier républicain. Le calendrier républicain (ou calendrier révolutionnaire pour la France) a été créé pendant la Révolution française et utilisé entre 1792 et 1806, mais aussi, brièvement, durant la Commune de Paris. Il entre en vigueur le jour de proclamation de la République, déclaré premier jour de l’« ère des Français ». Il est fréquent d’entendre nos responsables politiques, lorsque des consultations populaires sont en vue, « exiger le respect du calendrier républicain », alors qu’ils auraient mieux fait de réclamer le respect du calendrier électoral.

Cimetière. Qui n’a jamais entendu et/ou lu dans les médias sénégalais qu’un enterrement aura (ou a eu) lieu « aux cimetières de Yoff », ou que tel endroit est situé en face « des cimetières Saint-Lazare » ? Le dictionnaire définit le cimetière ainsi qu’il suit : « Terrain généralement bénit, le plus souvent clos de murs, dans lequel on enterre les morts. » Alors, pourquoi certaines personnes croient devoir toujours mettre le mot au pluriel ? Ne seraient-elles pas influencées par la langue wolof où le mot « sëg » est toujours utilisé au pluriel ? En attendant les doctes explications du premier sociolinguiste venu, retenons tous qu’il a beau être extrêmement étendu et manifestement insatiable, le cimetière de Yoff, comme celui de Madoki, à Thiès, est un et doit, par conséquent, se décliner exclusivement au singulier.

Débuter. Le verbe débuter signifie à peu près la même chose que commencer, démarrer, entamer, initier, initialiser… Seulement, il a une particularité par rapport à ses synonymes. En effet, contrairement au verbe commencer, par exemple, débuter ne peut pas être suivi d’un complément d’objet direct. Quelques exemples : Untel a débuté comme simple stagiaire ; la saison des pluies débutera bientôt ; son discours a débuté par une citation de Senghor. On ne dira pas : il a débuté son discours par une citation de Senghor, mais on pourrait dire : il a commencé son discours par une citation de Senghor.

Déguerpir. De nos jours, ce verbe est surtout employé dans sa forme intransitive et veut dire : « Abandonner un lieu en se sauvant (souvent par crainte). On lit souvent : « Les habitants ont été déguerpis ». Il serait plus simple et moins fautif de dire : « les habitants ont été chassés », « ont quitté les lieux », « sont partis », « se sont enfuis », « ont plié bagage » ou, simplement, « ont déguerpi ».

Indexer. Voilà un autre mot qui semble poser problème, en tout cas qui s’utilise ainsi qu’il ne faudrait pas. En effet, c’est « mettre un index sur une fiche » ou « constituer un index à références multiples », ou bien « rédiger une notice bibliographique plus ou moins détaillée…», ou encore « rendre une valeur économique solidaire ou dépendante de la valeur d’un élément de référence ». Par exemple, dans le dernier cas, indexer les salaires sur le coût de la vie. Les expressions correctes sont, entre autres, « désigner de l’index », « mettre à l’index », « désigner du doigt », « pointer du doigt », etc. Et pas « indexer quelqu’un ou quelque chose », comme c’est souvent utilisé dans le pays.

Limier. Contrairement à ce que j’ai pu lire ici ou là, n’est pas un limier le policier de la circulation, ni le flic qui intervient pour interpeller un récalcitrant. De son premier sens, le limier est un « chien dressé pour quêter et pour lancer le gibier », d’où l’expression avoir un flair de limier. De là découle l’extension vers ces policiers enquêteurs et autres détectives dotés d’un flair et d’une ténacité qui les amènent à dénouer parfois les mystères les plus complexes. Le mot limier peut donc définir un policier chargé de retrouver et d’arrêter les personnes recherchées.

Pandémie ou épidémie de la Covid-19. Je ne vais pas vous raser avec des définitions, car vous savez sûrement ce que signifient pandémie et épidémie. Je ne m’attarderai pas davantage sur le genre de l’acronyme covid qui, comme préconisé par l’Académie française, doit être au féminin. Mais deux camps s’affrontent à ce sujet et c’est à chacun selon son ressenti. Ce que j’ai du mal à comprendre, moi, c’est pourquoi certains, voire beaucoup, écrivent ou disent « pandémie de la covid-19 » ou « épidémie du covid-19 ». Les prépositions du et de la sont superflues ici. Puisqu’on dit « épidémie de variole » ou « pandémie de choléra », la simple logique devrait nous inciter à dire « pandémie ou épidémie de covid-19 ».

S’accaparer de. Beaucoup se trompent en disant ou écrivant que des individus riches voulant s’enrichir plus s’accaparent des terrains de pauvres villageois. C’est incorrect, car ils devraient dire qu’ils accaparent les terres des paysans. Accaparer signifie, en gros, prendre possession de valeurs ou de propriétés de première nécessité. La forme pronominale qui lui est souvent attribuée doit découler de sa proximité de sens avec s’emparer de.

Il existe beaucoup d’autres tournures ou expressions qui ne sont pas utilisées à bon escient, mais ce petit exercice n’avait aucune prétention à l’exhaustivité. Je voudrais juste le terminer avec les pléonasmes, dont beaucoup sonnent parfois tellement bien à l’oreille qu’il nous arrive de les utiliser sans hésiter. Entre autres, apanage exclusif, s’approcher près de, s’avérer exact ou s’avérer vrai, cohabiter ensemble, complémentaire l’un de l’autre, dune de sable, constellé d’étoiles, à partir de dorénavant, s’entraider mutuellement, surprendre à l’improviste, prévoir à l’avance, répéter la même chose, reporter à plus tard, se succéder les uns après les autres, tri sélectif, principal protagoniste (surtout au pluriel), etc.

Il y a également beaucoup à dire au sujet des sigles et acronymes, ainsi que du mauvais usage de la majuscule. Certains d’entre nous sont influencés par les anglophones, qui écrivent les noms de jours, de mois et de nationalités, par exemple, avec une initiale en majuscule alors que chez nous autres francophones, c’est normalement une minuscule qui s’impose. Enfin je vois très souvent écrit chef d’Etat major alors qu’il est plus correct d’écrire chef d’état-major, car non seulement le trait d’union est obligatoire entre état et major, mais, en outre, le mot état sécrit avec une minuscule. Ce n’est pas comme quand on veut parler de Lansana Conté ou Macky Sall. Là, on écrira le chef de l’Etat, Etat avec E majuscule.

Promis, si je trouve de l’inspiration un de ces quatre matins, j’y reviendrai avec des exemples précis tirés de nos journaux et sites d’informations. Ce qui n’exonère en rien les télés et radios où l’on note souvent de ces outrages à la langue française susceptibles de nous réveiller un grammairien qui dort !