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Confrontation avec Sonko: À la Pyrrhus pour Macky Sall Par Mame Gor NGOM, Rédaction centrale, Le Devoir

« Encore une victoire comme celle-là et nous sommes perdus ! »

Nous nous acheminons vraisemblablement vers un sale temps de guerre entre Macky Sall et Ousmane Sonko. Ce dernier, convaincu que tout ce qui lui est arrivé est “l’oeuvre néfaste” du leader de l’Alliance pour la République (Apr), est sur la défensive.

L’épisode du “Sweet Beauty” qui alimente la chronique n’est que la continuation d’une inimitié entre Sall et Sonko qui a abouti en 2016 à la radiation de l’inspecteur des Impôts et des Domaines de la fonction publique. Un acte radical durement ressenti par l’opposant mais, à y regarder de près, c’était le début d’une montée en puissance d’un homme qui était loin de jouer les premiers rôles dans le champ politique sénégalais. Devenu de justesse député lors des législatives du 31 juillet 2017, Ousmane Sonko se hisse au troisième rang à la présidentielle de 2019 derrière Macky Sall et Idrissa Seck. Ce dernier lui a laissé la place de chef de l’opposition en intégrant la majorité présidentielle. Une aubaine pour Sonko qui occupe la place avec autorité avant qu’il ne soit aujourd’hui au cœur d’une sale histoire de fesses. Il crie au complot et ne veut pas “se laisser abattre”.

Son déplacement à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), officiellement pour rendre visite à des étudiants blessés à la suite de sa convocation prématurée, est un acte symbolique en perspective d’une future confrontation. La mobilisation notée, la détermination affichée, son nom scandé à tue-tête peuvent être analysés comme un rejet d’une certaine politique, de la manière dont les pays est géré, un procès de la “gouvernance sobre et vertueuse”. Un accueil si grandiose, pour un leader politique gravement accusé de viol avec menaces de mort, laisse à réfléchir. Ces étudiants seront-ils prêts à engager la “bataille contre le complot” ? Vont-ils servir de boucliers à un homme politique dos au mur qui joue sa carrière, qui mène le combat de sa vie ?

Sonko espère aussi compter sur d’autres franges de la société au-delà de son cercle de militants et de sympathisants. Des leaders de parti politiques mais aussi des mouvements citoyens comme le Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (Frapp) et le très connu mouvement “Y en a marre”, sont à la rescousse du leader des “Patriotes”. Mais le pouvoir ne va pas faire un chemin sans épines pour Sonko. Les étudiants de l’Apr menacent et s’engagent à faire face.

Le gouverneur de Dakar lui aussi veut la paix. Il prépare sérieusement la guerre. En interdisant, pour un mois, la vente de carburant “en détail”, il veut parer à toutes les éventualités susceptibles de “mettre du feu aux poudres”.

Sur le plan judiciaire, nous sommes en plein dans une opération de traque, d’arrestations d’activistes et surtout de dirigeants de Pastef.   Biram Souley Diop, administrateur de cette formation politique, arrêté avec sa femme, est une illustration éloquente de ce que certains qualifient d’inquisition.

Tout laisse croire qu’on va vers une arrestation d’Ousmane Sonko après la levée de son immunité parlementaire.  Ce qui aboutira inévitablement à une   confrontation entre l’Etat incarné par le président de la République et Sonko aux soutiens non négligeables.

Une escalade de tous les dangers. Des risques de dégâts collatéraux énormes.

« Encore une victoire comme celle-là et nous sommes perdus ! »

Le pouvoir qui étale sa puissance va sans nul doute gagner devant  Sonko. Au prix de dommages, de blessures remarquables qui prendront du temps à se cicatriser. Dans ce contexte lourd en conjonctures et en conjectures, de crise économique et sanitaire, Macky Sall qui entretient le flou sur une troisième candidature en 2024 pourrait être affaibli : une victoire à la Pyrrhus devant un adversaire déterminé, sabre au clair, à combattre jusqu’au bout ?

Pyrrhus, nous apprend-on, était un roi de l’Antiquité. Il était parvenu à battre deux fois les Romains dans le sud de l’Italie : à Héraclée, en 280 av. J.-C., et à Ausculum, un an plus tard. Mais à ceux qui le félicitaient, il répondait : « Encore une victoire comme celle-là et nous sommes perdus ! »

Car, même si les troupes romaines comptaient plus de victimes, elles pouvaient recruter de nouveaux soldats alors que la population de l’Épire, elle, était limitée. D’ailleurs Pyrrhus dut renoncer à conquérir l’Italie pour cette raison. L’histoire est aussi pédagogue. Pour ceux qui savent lire.