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Coin d’Historie – Koli Tenguella Ba, venu du Mali, crée le premier royaume Peul dans le Fouta Toro Mohamed Bachir DIOP

Les Peuls, dans  la croyance populaire sont réputés réfractaires à la chefferie. Peut-être que leur caractère nomade y est pour beaucoup mais, toujours est-il que dans l’histoire, il n’y a eu que très peu de Peuls qui ont réussi à unir les leurs  autour d’une entité géographique leur appartenant en propre. Aussi, l’unification du Fouta Toro par Koli Tenguella passe pour une prouesse que seul un chef charismatique pouvait réussir.

La littérature classique a produit plusieurs écrits sur Koli Tenguella. Les auteurs européens l’ont dépeint comme un conquérant sanguinaire qui détruisait tout sur son passage mais, des historiens sénégalais, certains d’entre eux étant des Hal Pular ont eu une approche plus scientifique car leurs sources ont été plus précises même s’ils ont recueilli leurs informations par la tradition orale, pourtant réputée peu crédible. Sauf qu’il ressort que pour ce qui concerne Koli Tenguella, la tradition orale semble la plus véridique ou en tout  cas… la moins fantaisiste.

Le chercheur Amadou Bal Ba écrit à ce sujet : « Les études menées sur ce personnage majeur de l’histoire du Sénégal sont souvent approximatives et redondantes. Les sources arabes transcrites en français, portugaises, françaises et ou issues des traditions orales sont parfois divergentes sur les causes de son départ du Mali, sur l’itinéraire (Guinée, Gambie) qu’il a emprunté pour arriver au Fouta-Toro, et même sur ses origines ethniques, la durée du règne ou l’ordre de succession des Satigui ». Mais comme disait Amadou Hampathé Ba qu’il cite dans ses écrits, « lorsque la chèvre est présente il ne faut pas bêler à la place de la chèvre ». Aussi c’est sur les récits et études des historiens sénégalais que ce coin d’histoire se réfèrera en priorité.

Une vérité reste constante cependant : Le père de Koli, Tenguella Ba résidait à Kingui, province de Diâra, dans la province de Nioro du Sahel au Mali. Les sources écrites portugaises ont voulu attribuer à Coly Tenguella  des origines judéo-chrétiennes. Suivant Alavares d’Alamada, les Peuls ayant la peau claire, cette particularité les prédestinait donc à commander les Nègres. Naturellement ce portugais développait ainsi l’idéologie qui tentait de justifier la domination coloniale. Certaines sources orales précisent que Coly Tenguella est un descendant de Soundiata Keita de par sa mère qui s’appelle Nana Keita. «Coly vient du pays mandingue, son nom était Keita, qui équivaut au Ba des Foulbé» a écrit le chercheur Samba Alassane Ba.

Le père Tenguella, un guerrier intrépide s’était opposé à la toute-puissance de la dynastie des Askia Mohamed du Songhaï qui régnait sur tout le territoire mandingue depuis le 13ème siècle. Il a été assassiné en 1512  lors d’une guerre sanglante qu’il a menée contre les Askia. Son fils, Koli Poulo a donc pris le relais en compagnie de ses nombreux frères et, fort d’une armée redoutable, il entreprit de fonder un royaume qui n’aurait aucun lien de vassalité avec l’empire Songhai ni avec les petits royaumes mandingues de l’époque qui brimaient les Peuls et leur manquaient de respect à cause de leur nomadisme. Dispersés un peu partout dans la sous-région et sans véritable chef à qui ils pouvaient faire confiance, les Peuls étaient exposés à la domination des Songhaï et des Malinkés. Koli met donc en place une puissante armée et s’allie à toutes les ethnies qui étaient sous le joug des royaumes et grands empires du Mali qui régnaient du Haut Niger jusqu’à l’océan atlantique. Il leur arrachera cette prédominance mais, pour ce faire il devait quitter le Mali. Commence alors pour lui une conquête de nouveaux territoires qu’il devait soumettre à sa propre domination.

Avec sa puissante armée, forte de 999 guerriers, il conquiert de vastes territoires. Par ses nombreux succès, il parvient à régner sur une bonne partie de l’Afrique de l’ouest et son royaume s’étend du haut Niger au bas Sénégal sur une zone englobant sept pays (Sénégal, Gambie, Mauritanie, Guinée Bissau, Guinée Conakry, une partie du Mali et du Niger).

En Guinée, il édifie une grande forteresse à Guémé Sangan dont les ruines sont encore visibles à côté de l’emplacement actuel de la préfecture de Télimélé dont il fit la capitale. Puis il poursuit ses pérégrinations au-delà des montagnes du Fouta Djallon après avoir conquis le pays Peul guinéen jusqu’à la ville de Labé. Il entre alors au Fouladou mais se refuse à s’attaquer au royaume mandingue du Gabou. Il se lie d’ailleurs aux peuples des montagnes, les Bassaris les Kognaguis et les Dialonkés qui l’aident dans ses conquêtes.

Un certain Donald R. Wright a décrit le passage de Koli Tenguella Ba en Gambie. A l’en croire, Koli est arrivé en Gambie escorté de ses frères Boubou, Pathé, Yéro et Laba Tenguella :

« Il a installé son campement sous un grand baobab (Bankere, la force), dans l’un des 12 royaumes de la Gambie, le Niumi ou Barra. A cette époque, le Niumi, un Etat vassal du Saloum, devait s’acquitter, chaque année d’un tribut lourd. Koli Tenguela, en alliance avec Amary Sonko, s’insurgea contre cette domination et attaqua le Saloum. Des descendants de Koli Tenguella, les Ba, vivent encore de nos jours en Gambie » mais aussi dans la province du Rip où ils ont fondé la ville de Nioro.

Un autre Européen, le Français André Arcin a aussi retracé le chemin suivi par Koli Tenguella à l’intérieur du Sénégal : «Face à la confédération Sérère-Diola, ses guerriers eurent raison. Les Sérères furent rejetés dans leur habitat actuel, ainsi que les Diolas. Cependant, le conquérant traita avec les Sérères-Sine, et devint gendre de leur Roi, les enfants issus de son union, devant être des Guelwar» écrit-il. C’est à ce moment, que Koli Tenguella se dirigea vers le Fouta-Toro. Selon l’historen Abdoulaye Kane : « Continuant sa route, Koli s’arrêta sur conseil de son guide, nommé Fouta, qui l’empêcha d’aller plus loin, son armée risquant d’être confrontée à un manque d’eau : «D’après les uns, c’est un peul, Dialalo, du nom de Oboss Diambel qui aurait suivi le perroquet, mais d’après une autre version, ce serait Fouta, le guide de Koli, qui le suit en trois étapes, jusqu’au Bosséya, où il prit quelques grappes de mil et revient jusqu’à l’endroit où il avait laissé Koli» écrit Abdoulaye Kane. Cette version est également relatée par Siré Abbas Sow : «Un jour que Koli était assis sous un arbre, en train de causer avec ses familiers, une perruche qui avait son nid sur cet arbre vint donner la becquée à ses petits et laisse tomber un grain de mil. Koli donna l’ordre de suivre la perruche. Un Peul alla jusqu’au bout, sans la perdre de vue. Elle les conduisit au milieu des champs du Fouta» écrit-il.

Le Peul, répondant au nom de Fouta, un courtisan de Koli, grand chasseur et connaisseur de la brousse, revient vers Koli et lui dit : «J’ai vu un pays dont les plaines sont presque entièrement inondées. C’est là le pays dans lequel on doit vivre dans la paix et l’abondance».

A son arrivée au Fouta-Toro, une partie des habitants effrayés s’enfuirent vers le Diolof. Il ne resta que les Farba et le Lam-Toro ; ils étaient les chefs du pays.  Devenu maître du pays, qui s’appelait Namandir (pays de l’abondance), il le rebaptisa en «l’honneur de Fouta, cet homme qui l’avait découvert par son intelligence et sa bravoure» écrit Siré Abbas Sow.

Koli Tenguella fondera ici une dynastie qui règnera sur le Fouta pendant près de trois siècles, jusqu’à la révolution de Torodo Thierno Souleymane Bal qui intervient en 1776.

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