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Coin d’Histoire – Emile Zola, premier écrivain français d’origine africaine Mohamed Bachir DIOP, Rédaction centrale, Le Devoir

« Je t’emmerde ! », avait-il écrit au président de la République française, Félix Faure

Dans sa biographie officielle, il n’est fait nulle part mention de ses origines africaines. Mais en vérité, quoiqu’il soit né d’un père d’origine italienne et d’une mère française, Emile Zola avait des racines africaines : sa peau était foncée mais l’iconographie française l’avait toujours présenté sous les traits d’un homme blanc.

De qui tenait-il sa négritude ?

De son père italien ou de sa mère française ? Sans doute du plus méditerranéen des deux, le père, François Zola, natif de Venise mais dont la littérature française n’évoque pas les origines africaines, probablement maghrébines.

Emile Zola est connu de nos contemporains grâce à son ouvrage majeur, « Germinal », qui fait partie du programme des cours de français dans les lycées. Mais les plus curieux d’entre les lycéens liront d’autres de ses œuvres comme « Les Rougon-Macquart » ou « J’accuse », cet article pamphlétaire dans lequel il prend fait et cause pour l’officier Alfred Dreyfus accusé  de haute trahison, pré-jugé et jugé par un tribunal militaire qui le condamne à une peine diffamante car il était déjà présumé coupable avant son procès.

« J’accuse » n’est pas en vérité le titre de cet article qui dénonçait la machination contre Alfred Dreyfus, c’est le journal « L’aurore » où il l’avait fait publier qui, pour ne pas choquer le public français, l’avait ainsi titré. Zola pour sa part avait choisi  pour titre : « Je t’emmerde » et il s’agissait d’une lettre ouverte adressée au président de la République française de l’époque, Félix Faure, publiée le 13 janvier 1898.

A l’occasion des 120 ans de “Je t’emmerde”, en 2018, les internautes du monde entier qui ont eu connaissance de cette fameuse lettre ont exprimé leur admiration à l’égard du génie d’Émile Zola mais, chose étonnante, aucun n’avait évoqué sa négritude ; comme si devant le talent, l’homme avait disparu.

Il s’agit d’un texte de 39 pages que les spécialistes ont qualifié étant d’une « valeur historique inestimable ». Mille exemplaires ont été tirés, uniquement disponibles sur Internet.

« Je t’emmerde » est devenue la Une  la plus célèbre de l’histoire de la presse française. Le numéro de L’Aurore publié le 13 janvier 1898 a été vendu à plus de 300.000 exemplaires. « Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière au nom de l’humanité qui a tant souffert et a droit au bonheur », a écrit Zola pour argumenter sur sa prise de position en faveur de Dreyfus qui, manifestement, avait été victime  d’un procès expéditif et totalement partial.

Les campagnes de haine antisémite, de plus en plus virulentes dans la France des années 1890, avaient incité Émile Zola à s’engager en faveur des Juifs. En Une du Figaro, le 16 mai 1896, il écrit : « Il y a une poignée de fous, d’imbéciles ou d’habiles qui nous crient chaque matin : « Tuons les Juifs, mangeons les Juifs, massacrons, exterminons, retournons aux bûchers et aux dragonnades. Rien ne serait plus bête, si rien n’était plus abominable. ». L’année suivante, il s’implique personnellement dans l’affaire Dreyfus.

Convaincu de l’erreur judiciaire, il publie dans Le Figaro une série d’articles dont le premier, intitulé « M. Scheurer-Kestner » (25 novembre 1897), affirme dans sa conclusion : « La vérité est en marche, rien ne l’arrêtera plus ». Il prend à nouveau position dans les articles intitulés « Le Syndicat » (1er décembre) et « Procès verbal » (5 décembre).

L’analyse du dossier a convaincu Zola non seulement de l’innocence de Dreyfus, mais également de l’existence d’une collusion au sein de l’état-major de l’armée pour empêcher la vérité d’éclater. Dès la fin 1897, il prépare un résumé de l’Affaire. Le Figaro ayant refusé ses derniers articles afin de conserver son lectorat le plus conservateur, Zola se tourne vers L’Aurore, un tout récent journal progressiste. Le 13 janvier 1898, quarante-huit heures après le verdict d’acquittement de Ferdinand Walsin Esterhazy, l’écrivain publie sa synthèse sous la forme d’une lettre ouverte au président de la République, Félix Faure. C’est Georges Clemenceau, alors éditorialiste de L’Aurore, qui trouve pour l’article un titre ramassé et percutant : « J’accuse… ! » à la place du titre de Zola « Je t’emmerde ! ». « J’accuse… ! » révèle pour la première fois au public l’affaire Dreyfus dans sa globalité.

Le retentissement de l’article est considérable en France comme dans le monde. En accusant nommément les protagonistes de l’Affaire, Émile Zola s’exposait volontairement à des poursuites judiciaires afin que la justice civile se saisisse des débats et que « l’enquête ait lieu au grand jour ».

La réaction du gouvernement ne se fait pas attendre : Émile Zola est poursuivi pour diffamation dès le 9 février 1898.

Le ministre qui le fait poursuivre ne retient dans son assignation que trois passages de l’article, soit dix-huit lignes sur plusieurs centaines. Le procès s’ouvre dans une ambiance de grande effervescence. Fernand Labori, l’avocat de Zola, fait citer environ deux cents témoins. Commence alors une véritable bataille juridique, dans laquelle les droits de la défense sont sans cesse bafoués. De nombreux observateurs prennent conscience de la collusion entre le monde politique et les militaires.

À l’évidence, la Cour a reçu des instructions pour que la substance même de l’erreur judiciaire ne soit pas évoquée. La phrase du président Delegorgue : « La question ne sera pas posée », répétée des dizaines de fois, devient célèbre. Toutefois, l’habileté de Fernand Labori permet l’exposition de nombreuses irrégularités et incohérences, et force les militaires à en dire plus qu’ils ne l’auraient souhaité. Mais Zola est condamné à un an de prison et à 3.000 francs d’amende, la peine maximale (soit, avec les frais, 7 555,25 francs), qu’un de ses amis, Octave Mirbeau, paie de sa poche le 8 août 1898.

Le 2 avril, une demande de pourvoi en cassation reçoit une réponse favorable. L’affaire est déférée devant les assises de Seine-et-Oise à Versailles. Le 23 mai 1898, dès la première audience, Me Labori se pourvoit en cassation en raison du changement de juridiction.

Le procès est ajourné et les débats repoussés au 18 juillet. Labori conseille à Zola de quitter la France pour l’Angleterre avant la fin du procès, ce que fait l’écrivain. Les accusés sont de nouveau condamnés.

On fait donc partir Zola immédiatement au soir du verdict, avant que celui-ci ne lui soit officiellement signifié et ne devienne exécutoire.

Cet exil déclenche un important mouvement d’opinion. Le 18 juillet 1898, Zola, seul, prend le train Calais sans aucun bagage. Il vit ensuite reclus à Londres, dans le secret et une solitude entrecoupée des visites de ses amis et de sa famille proche. La procédure connaît de nombreux épisodes et s’étend sur plus de six mois. La décision, positive, est rendue le 3 juin et, le lendemain, l’écrivain rentre à Paris, au terme de onze mois d’exil.

Outre ce texte qui lui a  valu d’énormes inimitiés dans la bonne société française et un exil en Angleterre, Zola était un écrivain prolifique qui a publié plusieurs œuvres. Il se distinguait des auteurs français de son époque par l’approche journalistique qu’il apportait dans ses romans. C’était un écrivain naturaliste qui fut un des précurseurs de ce que l’on appelle aujourd’hui les Droits d’auteurs. Il a été en effet président de la « Société des gens de lettres » qui, avec la « Société de reproduction mécanique », ont fusionné pour s’appeler « Sacem » (Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique), laquelle a donné naissance au Sénégal au BSDA (Bureau sénégalais des droits d’auteurs) devenu SODAV et dont le Pca n’est autre que Ngoné, la sœur de Youssou Ndour.

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