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Coin d’Histoire – Dictateur sanguinaire, Idi Amin a géré pendant huit ans l’Ouganda d’une main de… feu Mohamed Bachir DIOP

L’homme est le prototype même du dictateur sanguinaire. Mégalomane, probablement paranoïaque, il a régné sur son pays par la terreur. Meurtres en série, exécutions sommaires, assassinats d’opposants et même génocide ont jalonné son règne. Une certaine légende le décrit même comme un président qui réglait ses comptes avec ses ministres à… coups de poings.

Idi Amin Dada est arrivé au pouvoir par un coup d’Etat perpétré contre le président Milton Obote le 25 janvier 1971, alors que ce dernier assistait à un sommet du Commonwealth à Singapour. Il avait été informé que le président Milton Obote projetait de le faire arrêter pour détournement de plusieurs millions de dollars issus des fonds de l’armée et il a alors pris les devants.

Dans un premier temps, son coup d’Etat fait sensation auprès de la communauté internationale, surtout dans le monde occidental qui n’appréciait guère la politique prosocialiste du président Obote. Les Etats-Unis et l’Angleterre en particulier lui offrent leur soutien. Une certaine littérature informe d’ailleurs que l’Etat d’Israël lui aurait donné un coup de main décisif lors son putsch contre Obote. Vrai ou faux, Israël sera omniprésent sous le règne d’Idi Amin Dada alors pourtant qu’il était musulman. Les occidentaux le dépeignent comme un homme conciliant, un président débonnaire et malléable. Une note interne du ministère anglais des Affaires étrangères, le Foreign Office, rendue publique quelques années plus tard le présente comme « un type splendide et bon joueur de rugby ». C’était en effet un sportif accompli qui pratiquait régulièrement la natation et la boxe et il était champion de son pays dans ces deux disciplines lorsqu’il servait dans l’armée.

Dans son pays également le coup d’Etat est bien accueilli, surtout par une ethnie dénommée les « Baganda » qui avaient toujours cherché à combattre et à renverser Obote, sans succès. Ragaillardi par tous ces soutiens, Amin Dada ne  sent plus de joie et commence à faire le paon. Il prend alors des bains de foule quotidiens, parcourant les rues de la capitale au volant d’une Jeep décapotable. Il donne à l’ancien roi et président Mutesa, qui est mort en exil, des funérailles nationales en avril 1971 et libère beaucoup de prisonniers politiques. Comme tout bon dictateur qui dissimule ses desseins, il promet de tenir des élections libres et indépendantes mais n’en fera jamais rien. Il crée une sorte de police politique, le « State Research Bureau » qui, plus tard se révèlera comme une sorte dureau » qui, plus tard se révèlera comme une sorte d’escadron de la mort destinée à pourchasser et assassiner les partisans d’Obote, mais aussi l’intelligentsia ougandaise, dont il se méfie. Les chefs militaires qui n’ont pas soutenu le coup d’État sont exécutés. Beaucoup d’entre eux sont décapités publiquement tandis qu’une trentaine d’autres meurent après que de la dynamite a été jetée volontairement dans leur cellule par des soldats proches du président Amin Dada.

Le président Obote n’avait pourtant pas baissé les bras. A partir de la Tanzanie où il s’était réfugié, il organise la résistance et essaie de reprendre le contrôle du pays par une invasion militaire en septembre 1972 mais sans succès. Idi Ami réagit violemment et  fait bombarder des villes de Tanzanie proches de l’Ouganda. Et puisque qu’il existait encore des partisans d’Obote au sein de l’armée ougandaise, il les traque et les élimine, surtout ceux d’entre eux qui étaient des ethnies Acholis et Lango. Les officiers issus de ces ethnies sont exécutés sans autre forme de procès.

Mais il en rajoutera une couche qui  fâchera pour toujours le gouvernement anglais et les  pays occidentaux. En effet, le 4 août 1972, Amin donne aux 60 000 Asiatiques, principalement des Indo-Pakistanais non nationaux présents en Ouganda, un délai de 90 jours pour quitter le pays, suivant ainsi un rêve qu’il dit avoir eu, et dans lequel Dieu lui aurait ordonné de les expulser. Par la suite, il étend cette mesure aux 80 000 Asiatiques du pays. En définitive, 50 000 Asiatiques quitteront le pays alors que ce sont eux qui tenaient l’économie de l’Ouganda à tour de bras. Ceux qui restèrent furent déportés des villes vers les campagnes. La plupart des expulsés titulaires de la nationalité britannique se rendirent au Royaume-Uni, c’est-à-dire entre 25 000 et 30 000 personnes. Le gouvernement britannique avait alors envisagé de les installer dans un territoire national autre que la Grande-Bretagne par exemple dans les îles Salomon ou dans les Malouines. Certains allèrent au Canada et en Afrique du Sud.

Durant cette période, les soldats ougandais pillent et violentent en toute impunité les Indiens, dont les biens sont confisqués au profit des militaires proches du pouvoir. Au fur et à mesure que la vraie nature d’Amin Dada se révèle, le Royaume-Uni et Israël, principaux soutiens étrangers de l’Ouganda, commencent à restreindre leur aide et refusent de lui vendre de nouvelles armes. Amin Dada se tourne alors vers la Libye de Mouammar Kadhafi et vers l’Union soviétique. Le chef d’État ougandais mène désormais une politique d’affrontement contre le Royaume-Uni et, dans une moindre mesure, contre les États-Unis. Ces derniers ferment leur ambassade à Kampala en 1973 suivis en 1976 par le Royaume-Uni. Amin Dada rompt ses relations avec Israël et commence à soutenir les mouvements nationalistes palestiniens.

À partir de 1974, Idi Amin accélère la cadence. Il se lance dans une chasse contre tous ceux qui, selon lui, peuvent menacer le régime. Débutent alors des campagnes de persécutions contre les tribus rivales ou les partisans, ou supposés tels, de Milton Obote, et la chasse à l’intelligentsia du pays : anciens ministres et hauts fonctionnaires, juges, diplomates, professeurs d’université et enseignants, clergés catholique et anglican, banquiers et hommes d’affaires, journalistes, chefs tribaux, ainsi qu’un certain nombre d’étrangers, sont assassinés ou disparaîtront. On rapporte même que de villages entiers ont été rasés et des centaines de corps ont été retrouvés flottant sur le Nil.

Durant cette période, une ONG internationale qui a enquêté envoie un rapport aux Nations unies, qui estime qu’entre 25 000 et 250 000 personnes ont été assassinées en Ouganda depuis le coup d’État de 1971.

Idi Amin règne par décrets, essentiellement oraux annoncés directement par la radio nationale et renforce son appareil sécuritaire.

Le pays s’engage dans une vaste politique de développement militaire qui inquiète son voisin kenyan. Au début du mois de juin 1975, les responsables kényans confisquent le chargement d’un gros convoi d’armes de fabrication soviétique en route pour l’Ouganda depuis le port de Mombasa.

La tension atteint son maximum en février 1976 quand le président ougandais annonce soudainement qu’il va enquêter sur le fait qu’une grande partie du Sud-Soudan et de l’Ouest et du Centre du Kenya, jusqu’à 32 km de Nairobi, sont historiquement partie intégrante de l’Ouganda colonial. La réponse kényane arrive deux jours plus tard, très lapidaire, indiquant que le pays ne partagera pas « ne serait-ce qu’un pouce de son territoire ». Amin Dada fait finalement marche arrière en voyant les Kényans déployer des troupes et des transports blindés en position défensive sur la frontière avec l’Ouganda.

Idi Amin Dada entretient des liens forts avec les mouvements palestiniens. Les bâtiments de l’ambassade israélienne sont même offerts à l’OLP pour lui servir de quartier général. Le 27 juin 1976, le vol 139, un Airbus d’Air France reliant Tel Aviv à Paris, est détourné après une escale à Athènes, vers la Libye. L’avion se pose ensuite à l’aéroport international ougandais d’Entebbe situé à 32 km au sud de Kampala. Le gouvernement français fait pression sur Idi Amin pour qu’il accepte de recevoir l’avion détourné pour éviter que les pirates de l’air ne cherchent refuge auprès d’un pays plus distant sur le plan diplomatique. Le dictateur ougandais n’est d’ailleurs averti qu’au moment où l’avion survolait déjà Entebbe et se voit refuser l’accès à l’avion par le commando. Les preneurs d’otages demandent la libération de 53 prisonniers palestiniens et de la Fraction armée rouge en échange des 256 passagers et membres d’équipage. Trois autres terroristes les rejoignent en Ouganda et ils sont « assistés » par les troupes ougandaises. Amin Dada se donne l’image d’un médiateur. Mais le 3 juillet 1976 à minuit, des commandos israéliens attaquent l’aéroport, et libèrent tous les otages sauf quatre ; trois sont tués pendant l’assaut, dont un par les forces israéliennes ; un quatrième, Dora Bloch, une femme âgée de 75 ans qui avait été amenée dans un hôpital avant l’assaut, est assassinée par deux officiers ougandais sur ordre direct du dictateur deux jours après l’opération israélienne.

Après ce raid, Idi Amin Dada fait exécuter 200 officiers et hauts fonctionnaires qu’il juge incompétents, expulse tous les étrangers et déclenche une nouvelle campagne de violence. En janvier 1977, il accuse Janani Luwum, l’archevêque anglican de Kampala, opposant notoire au dictateur et défenseur des chrétiens d’Ouganda opprimés, de comploter pour une invasion étrangère. Le lendemain, ce dernier est assassiné avec deux ministres.

À partir de 1975, Idi Amin Dada s’autoproclame maréchal, puis président à vie. Cette année-là, devant les médias, il se met en scène sur une chaise à porteurs, obligeant des hommes d’affaires occidentaux à le promener. Durant l’été 1975, un écrivain ougandais d’origine britannique, Denis Hills, est condamné à mort pour avoir traité Amin Dada de « tyran de village ». Il ne sera sauvé que par la visite express à Kampala du secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, James Callaghan, et après l’intervention du président zaïrois Mobutu Sese Seko et du Somalien Siad Barre, président en exercice de l’OUA, qui menace d’annuler le sommet de Kampala.

En juillet 1975, le sommet de l’OUA se tient finalement en Ouganda et Amin Dada prend la présidence de l’organisation africaine, embarrassant beaucoup d’autres pays du continent. Il voit cet événement comme une consécration et organise de multiples manifestations lors du sommet, dont l’élection d’une « miss OUA », ainsi qu’un rallye automobile auquel il participe au volant d’une Citroën SM à moteur Maserati. Lors du sommet, il épouse en cinquièmes noces une jeune danseuse dont le mari a disparu lorsque, l’année précédente, Idi Amin Dada a commencé à s’intéresser à la jeune femme.

Au fil des années il devient de plus en plus excentrique. Il se fait confectionner des vêtements spéciaux pour pouvoir porter de nombreuses décorations

En 1977, après que les Britanniques eurent rompu leurs relations diplomatiques avec le régime, Idi Amin déclare avoir vaincu les Anglais et se confère la décoration de « Conquérant de l’Empire britannique ». Radio Ouganda diffuse alors avant ses messages l’intégralité de son nouveau titre : « Son Excellence le Président à vie, Maréchal Alhaji Docteur Idi Amin Dada, titulaire de la Victoria Cross, DSO, titulaire de la Military Cross et Conquérant de l’Empire britannique ».

En octobre 1978, des mutineries éclatent dans le Sud-Ouest du pays, une partie des militaires se réfugiant en Tanzanie voisine. Amin Dada, dont le régime est aux abois, saisit ce prétexte et ordonne alors l’invasion de la Tanzanie. Avec l’aide de 3 000 hommes des troupes libyennes, Amin essaye d’annexer les provinces du Nord de ce pays dans la région de Kagera. La Tanzanie, sous la présidence du Mwalimu Julius Nyerere, déclare alors la guerre à l’Ouganda et commence à contre-attaquer, enrôlant pour cela les exilés ougandais.

Mais le 11 avril 1979, Idi Amin est forcé de fuir la capitale ougandaise Kampala. L’armée tanzanienne prend la ville avec l’aide des guérillas ougandaise (l’Armée de libération nationale de l’Ouganda (en) ou Uganda National Liberation Army – UNLA) et rwandaise. Amin s’envole pour l’exil, d’abord en Libye puis en Arabie saoudite où il meurt en Arabie saoudite le 16 août 2003, à l’âge de 75 ans et enterré dans un cimetière de la ville.