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Coin d’Histoire – Anouar El Sadate: Soldat stratège, le Raïs égyptien est l’artisan de la paix avec Israël Par Mohamed Bachir Diop

Ce qui caractérise l’ancien président égyptien, Anouar el Sadate, c’est sa capacité à allier le soldat et le diplomate. Très offensif contre Israël, l’ennemi commun du monde arabe, il aura été paradoxalement celui qui tendra la main aux autorités de Tel Aviv après une guerre sans merci, longue et meurtrière. Si bien qu’après son assassinat en 1981, le chanteur français Enrico Macias lui dédiera une chanson qui deviendra un succès mondial : « Un berger vient de tomber, sous les armes, le cœur de l’humanité, est en larmes… ».

Il est né en 1918 et aura connu une carrière militaire et politique faite de hauts et de bas. Car, à l’âge de 18 ans, en 1936, il entre à l’académie militaire d’où il sort deux ans plus tard avec un diplôme d’officier subalterne. Il gravit rapidement les échelons mais, quatre ans plus tard, il est arrêté par les troupes anglaises et envoyé en prison parce qu’il aurait collaboré avec les Allemands lors de la seconde guerre mondiale, car ceux-ci avaient promis à l’Egypte de le libérer du joug colonial britannique s’ils sortaient victorieux de la guerre. Les Allemands ayant perdu, Sadate est donc envoyé en prison accusé d’avoir été un espion des Nazis.

En 1945, à la fin de la guerre, il est arrêté de nouveau pur accointance avec le Frères Musulmans et il passera trois ans en prison pour « activités subversive » et il est radié de l’armée en 1948. Il ne participe donc pas à la première guerre israélo-arabe qui verra une victoire étonnante d’Israël sur les pays arabes et il en garde une certaine amertume. Il fait tout pour sa réintégration dans l’armée et obtient gain de cause deux ans plus tard, en 1950. Il participe alors à la fondation de l’association clandestine appelée « Mouvement des officiers libres » dont le but est de libérer l’Égypte de la colonisation britannique et, en juillet 1952 il participe au coup d’État qui fait tomber le roi Farouk Ier.

De 1960 à 1968, après avoir assumé quelques fonctions ministérielles dans le gouvernement égyptien, il devient président de l’Assemblée du peuple. Il est ensuite nommé vice-président de la République par le président Gamal Abdel Nasser le 20 décembre 1969.

Moins d’un an plus tard, le 28 septembre 1970, après la mort de Gamal Abdel Nasser, en sa qualité de vice-président, il devient président de la République par intérim.

Le 5 octobre 1970, il est désigné par le parti unique, l’Union socialiste arabe comme candidat unique à la présidence de la République arabe unie. Sa désignation par le parti surprend les experts qui voyaient comme successeur possible à Nasser le pro-soviétique Ali Sabri ou le pro-américain Zakaria Mohieddin. Pour l’anecdote, on dit que l’Américain Henry Kissinger ira jusqu’à déclarer à Mme Golda Meir, Premier ministre israélienne qu’Anouar el-Sadate est « un imbécile, un clown, un bouffon ».

Le 15 octobre 1970, Sadate est néanmoins élu président de l’Égypte suite à un referendum où il obtient 90 % des voix. Il entreprend alors une purge contre les ministres de Nasser dont il limoge certains et en emprisonne d’autres de même que des officiers de l’armée qu’il accuse de vouloir fomenter un coup d’état. Il se rapproche alors du clergé religieux et prend de la distance à l’égard de Moscou.

En 1973, Anouar El Sadate décide d’attaquer Israël afin de récupérer le Sinaï perdu en 1967 lors de la guerre des Six jours. Pour surprendre son ennemi, il camoufle son attaque imminente par des manœuvres militaires le long du Canal de Suez et il peut donc donner l’assaut sans éveiller les soupçons de Tel Aviv. Et le 6 octobre, jour de Yom Kippour (jour du Grand Pardon, le jour le plus saint pour les Juifs), alors que Sadate ordonne le début des hostilités, avec l’opération Badr, l’état-major israélien est surpris et doit se rendre à l’évidence : malgré une nette supériorité militaire de Tsahal, les forces égyptiennes sont décidées à reprendre les territoires perdus en 1967, profitant de la diminution des effectifs du fait de la fête religieuse en Israël.

Même si l’effet escompté par Sadate est réussi, les Égyptiens tout comme les Syriens, ne peuvent contenir les contre-attaques israéliennes, qui repoussent l’armée syrienne sur le Golan, encerclent la 3ème armée égyptienne, retraversent le canal de Suez et menacent le Caire. Finalement, un cessez-le-feu est négocié par les États-Unis et l’Union soviétique alliés respectifs d’Israël et de l’Égypte.

Le sentiment général qui prédomine alors dans le monde arabe, et notamment en Égypte, est, paradoxalement, celui d’une grande victoire. Les Égyptiens ont de nouveau mis un pied dans le Sinaï, après en avoir été chassés en 1967. Anouar el-Sadate tire profit de cette situation et devient, à la suite de son rapprochement avec les Américains à la fin de la guerre du Kippour, un interlocuteur privilégié dans la région.

En novembre 1977, Sadate devient le premier dirigeant arabe à effectuer une visite officielle en Israël malgré la désapprobation du monde arabe. Mais cette visite est le début du dégel car elle donnera lieu à des accords de paix, signés au Camp David aux Etats-Unis sous le regard bienveillant du président Jimmy Carter. Cette signature est considérée par les arabes comme une trahison mais elle donne l’occasion au président égyptien de recevoir le Prix Nobel de la Paix en même temps que Menahem Begin, le Premier ministre israélien.

En septembre 1981, Sadate lance une offensive majeure contre les intellectuels et les activistes. Le pays est en proie à une crise économique sans précédent et Sadate s’allie avec les islamistes pour anéantir les velléités des communistes. Il fait contrôler les universités par des étudiants islamistes et envoie en prison tous ceux qui étaient considérés comme des gauchistes. Il devient alors plus impopulaire que jamais.

Le 6 octobre, un mois après la vague d’arrestations, Sadate est assassiné durant une parade militaire filmée au Caire par des membres de l’armée qui appartiennent à l’organisation du Jihad islamique égyptien, fondée par d’anciens membres des Frères musulmans.

« Il disait, puisqu’il faut mourir, laissez-moi le droit de choisir… » (Enrico Macias). Il n’avait pas choisi de mourir sous les balles d’un certain Khalid Islambouli qui lui a tiré dessus à bout portant.