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Chérif Ace Faty, réalisateur: “Le cinéma sénégalais est un combattant aimé partout mais triste chez lui…” Entretien dirigé par Chérifa Sadany SOW

Jeune prodige du cinéma, chérif Ace Faty, 36 ans, s’engage dans la révolution du cinéma sénégalais. Abandonnant ses études en Droit, il se consacre au cinéma et mobilise avec abnégation toutes ses forces pour offrir au public des productions cinématographiques riches de 14 films à déguster avec des popcorns.

Lisez entre les lignes son parcours, ses expériences et ses réalisations !

Nous aimerons davantage en savoir plus sur le métier de réalisateur. Pouvez-vous un peu nous en parler en retraçant votre parcours ?

 Ça sera avec plaisir !

Je suis scénariste et Réalisateur de cinéma, aussi producteur dans le club « cinegal pictures ». Mon premier job c’est la réalisation : elle consiste à faire des films, raconter des histoires d’ici et d’ailleurs à travers la vidéo. Le réalisateur est au centre de deux équipes : les techniciens et les acteurs.  Il les dirige, les oriente ensemble afin de produire une œuvre qu’on appelle fiction, une branche du cinéma.

La fiction, bien qu’imaginaire, tire sa source dans ma réalité. J’ai fait 14 films, des courts et longs métrages, et deux séries tv. Parmi les films que j’ai faits, je peux citer « Shift », « Panique à domicile », « Karine », « Poussière d’espoir », etc.…Et parmi les séries tv, je peux citer « Impasse », « Dikoon », « Mbakou ».

Le cinéma m’a permis d’avoir une autre lecture du monde et de la vie. J’ai participé à des festivals de cinéma et ai été nominé dans d’autres. J’ai eu une mention spéciale du jury au festival « Image et vie » pour mon film « 4 fois zéro » ; j’ai eu le prix du public au festival « Kortos rek » pour mon film « Karine », ce même film a été nominé au festival « Ecrans noirs » du Cameroun, il a aussi gagné le grand prix du festival euro-africain de Tiznit au Maroc en 2019. Le cinéma a fait de moi l’invité d’honneur du festival de Settat au Maroc et il m’a décerné un diplôme de réalisation en Tunisie. J’ai reçu un diplôme de reconnaissance signé par le ministre de la Culture M. Abdoulaye Diop pour le travail abattu sur le cinéma. J’ai créé un club de productions cinématographiques qui s’appelle « Cinegal pictures » spécialisé dans la fiction et la formation d’acteurs de cinéma.

Comment trouvez-vous le cinéma sénégalais ?

Je trouve que le cinéma sénégalais est comme un combattant fier de ses racines, aimé partout ailleurs mais un combattant triste chez lui qui peine à partager son chagrin. C’est-à-dire que nous avons un cinéma qui a toujours fait la fierté de l’Afrique et du monde grâce à de grands réalisateurs comme feu Ousmane Sembène, D.D. Mambety ou même Momar Thiam, et des réalisateurs toujours à l’œuvre comme Sora Wade ou Moussa Touré.

Pouvez-vous analyser son évolution au Sénégal ?

Mais bien sûr !

En effet, du point de vue historique, nous sommes bien partis mais sur le plan commercial et financier, le cinéma sénégalais continue de souffrir et d’appauvrir son milieu. Voyez-vous, la crise économique de la fin des années 80 suivie de la dévaluation du FCFA, la conjoncture économique de l’époque et la politique culturelle du président Abdou Diouf ont donné un coup dur au cinéma sénégalais et cela a engendré la chute des salles de cinéma, la distribution quasi-impossible des films sénégalais, la baisse des cachets et des frais de production en fonction des années, la présence en série de sociétés de production étrangères qui jusqu’ici deviennent les droits de la majeure partie des grands films fait par des Sénégalais. Aujourd’hui, le cinéma continue de briller dans les festivals mais il ne se retrouve pas sur le marché de l’industrie.

Sur le plan artistique, je remarque une nette amélioration dans la créativité à travers la trame, l’écriture, l’angle de traitement ; cependant, les films souffrent de pertinence et d’objectivité. Aussi, il faut souligner que les jeunes sont très engagés mais ils manquent de moyens pour exprimer leur savoir-faire. La formation est une nécessité mais elle n’est pas bien structurée.

Parlons de l’ampleur que prennent les séries télévisées. Quelle explication ? L’argent ou la passion ?

Vous savez, l’audience et argent font souvent bon ménage. L’un ne peut partir sans l’autre ! Les séries tv se sont frayé leur propre chemin ces dernières années. Elles ont en effet gagné le cœur des téléspectateurs et cela se distingue à travers les audiences qui battent des records en Afrique occidentale. C’est ce que les sponsors et les bailleurs de fonds ont compris pour accompagner ces programmes. La passion aussi joue son rôle : quoi qu’on dise, les séries font rêver la majeure partie des jeunes. On remarque une apparence à la limite parfaite des décors accessoires et histoires racontées dans ces séries. Les producteurs misent tellement sur le paraître que la jeunesse raffole de faire le métier, tout le monde veut être acteur.

Mais nous avons noté que les réalisateurs sont pointés du doigt et accusés de vouloir pervertir la jeunesse avec certaines séquences osées. Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?

C’est compréhensible ! Les réalisateurs sont en partie responsables des dérives qu’on remarque dans certaines scènes parce que le réalisateur est le premier maître d’œuvre du film. Chaque image, chaque plan, chaque impression découle de son choix et de sa responsabilité oui. C’est dans ce cas qu’on dit que le cinéma peut être une arme qui blesse, qui fait mal. Une image vaut mille mots et si c’est une image désastreuse, c’est mille mots à connotations dangereuses qui vont rester dans la conscience du téléspectateur…Cependant, on ne peut pas mettre le réalisateur seulement au banc des accusés. La société sénégalaise, plus particulièrement celle qui fréquente les TICS, s’engage de plus en plus fans dans la perversion. Nous sommes devenus vulgaires dans nos propos dans la rue, à travers les émissions, les costumes, le mode de vie ; je pense que c’est tout une chaîne et cela inspire les scénaristes et réalisateurs qui ont aussi une casquette de restitution de la réalité à travers la fiction.

Revenez un peu sur le rôle d’un réalisateur ! Quelles doivent être ses qualités, limites ?

Les qualités d’un réalisateur ? Je ne saurais le dire. Chacun a sa méthode, ses goûts, ses envies, ce qui l’inspire. Je pense qu’il n’y a pas de type de réalisateur modèle. On nous taxe souvent de bizarres, c’est une qualité mais je pense aussi qu’un réalisateur doit être présent dans sa société et dans le monde, très observateur et attentif, imaginaire courageux et libre.

Limites ? Savoir trouver l’équilibre avec la société, maîtriser les forces et les dangers du métier. La famille est souvent une force et une faiblesse. Un réalisateur peut anticiper le futur, c’est un pilote qui fait voyager, il est un artiste qui s’exprime sur des détails, la couleur, les sons, les objets, les gens, les mentalités. Il fait rêver par moment, il attire l’attention parfois, il s’engage aussi.

Suffit-t-il d’avoir un talent pour être un acteur ou réalisateur ? Que faut-il de plus sinon ?

Ecoutez ! Nous sommes d’accord que le talent est abstrait, c’est un don, mais ça ne suffit pas. Il faut beaucoup le travailler. En réalisation, ça peut être une vision, la manière dont on fait nos films. Le cinéma offre des outils tels que : les plans, la lumière, les personnages, etc.…Le talent bien travaillé permet de cuisiner tout cela vers un chef d’œuvre.

Un chef d’œuvre comme le vôtre, « Karine » ?

Rire… c’est vous qui appréciez !

Nous avons noté dans les séries sénégalaises l’arrivée des étrangers. L’échange de nationalité, de culture, de langue. En quoi leur participation représente-t-elle un avantage ou un inconvénient dans la culture sénégalaise ?

Eh bien je pense que ça montre que notre créativité fait des résultats positifs au-delà des frontières. La présence des étrangers dans les séries télés est une solution pertinente pour vendre la culture sénégalaise. Leur arrivée, (les étrangers) permet aux acteurs professionnels nationaux de tâter le niveau international et d’être dans une logique de carrière mondiale. Je ne suis pas contre l’idée et, pour finir, je lance un appel aux sponsors. L’Etat aussi doit profiter de cette situation pour faciliter la distribution du savoir-faire cinématographique dans les autres pays. C’est une bonne affaire !