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Changement de l’avion de commandement: Quid des arguments techniques et économiques ? Ababacar Sadikhe DIAGNE

J’ai un peu réfléchi sur les arguments développés pour et contre l’achat de ce nouvel avion présidentiel.

Il y’avait (je ne sais pas si c’est toujours actuel) deux approches en matière de construction d’avions : celle dite “fail safe” et l’autre dite “safe life” pour certains éléments de structure.

Dans la première, une défaillance ne met pas en cause la sécurité et dans l’autre il y’a une durée de vie de l’avion pendant laquelle il ne devrait pas se produire une défaillance qui mettrait la sécurité en cause.

L’histoire de la vétusté de l’avion n’est pas une très bonne explication. Dans les années cinquante on ne connaissait pas encore le phénomène physique à l’origine des ruptures d’éléments cruciaux de la structure des aéronefs soumis à des cycles de pressurisation/dépressurisation : le Comet, premier avion à réaction  anglais ayant un niveau de croisière qui nécessitait la pressurisation, a connu des accidents dramatiques en explosant en vol ; l’énigme  de ces explosions a été résolue  après des essais avec des cycles de pression/dépression de la cabine dans une piscine. Après un certain nombre de cycles, des fissures sont apparues. Elles ont été à l’origine des explosions du Comet.

Les métaux ont au niveau microscopique une structure en réseau cristallin. Les atomes sont liés à leurs voisins d’une certaine façon qui assure la résistance du métal qui peut subir une charge maximale sans rupture ou déformation permanente. Si ce métal subit des cycles de contraintes/relaxations avec des charges loin de celles de rupture, les liaisons interatomiques se rompent progressivement ; après un certain nombre de cycles, la même charge conduit à la rupture de l’élément.

Voilà pourquoi deux types d’essais sont effectués sur certains éléments de structure des avions pour déterminer :

– la charge statique de déformation permanente et de rupture et

– le nombre de cycles qui amène la résistance de l’élément à un niveau   inférieur à un certain seuil donné.

De ces résultats sont tirées, avec des marges de sécurité, les limites des charges structurales à ne pas dépasser et le nombre de cycles maximum qui impose une intervention d’entretien.

Le fuselage n’est pas la seule partie de l’avion qui est concernée par ce problème : il y’a notamment les ailes, le train d’atterrissage, les différentes gouvernes.

La décision de remplacer un avion par un autre doit être basée sur des considérations de sécurité mais aussi sur celles d’ordre économique et même écologiques.

On obtient deux courbes qui donnent dans le temps le coût à l’heure de vol ou au kilomètre parcouru pour les avions à comparer. Le montage financier aussi peut être déterminant.

En suivant l’axe du temps, on peut situer le moment où les courbes se croisent.  Ensuite l’une passe au-dessus de l’autre. En faisant les cumuls actualisés des dépenses, une décision est prise en faisant le choix qui, pour le même service, est le moins onéreux.

En dehors de ces considérations, je me méfie de ces nouveaux avions qu’il est peut-être possible de contrôler à distance à l’instar des ordinateurs ou téléphones portables ; ce risque n’existait pas avec le B727 qui avait essentiellement une technologie analogique.

Par ailleurs, sa motorisation, avec 3 turboréacteurs, de surcroît positionnés presque sur l’axe de cet avion, le rend beaucoup plus sûr et performant en cas de panne moteur (notamment un des moteurs critiques qui sont les deux latéraux). Il serait peut-être trop long d’expliquer ici pourquoi. En gros, l’absence de poussée d’un des réacteurs induit un moment qui tend à engager l’avion dans un virage qu’il faut contrer.

Les avions de commandement font beaucoup moins de cycles que ceux utilisés en transport commercial ; dans cette dernière activité, un avion au sol est une perte d’argent.

Aussi un avion présidentiel peut avoir un âge significatif et considéré comme ancien alors qu’il est loin d’avoir atteint l’état dans lequel la révision dite GV (pour grande visite) ou check D s’impose.  Après une telle intervention, la machine retrouve le potentiel d’un avion neuf.

Un avion qui doit subir un check D a une valeur résiduelle très inférieure à son prix de vente à l’état neuf.

Un avion dont la date de construction remonte loin dans le temps peut être difficile et coûteux à entretenir à cause de la non disponibilité de ses pièces de rechange spécifiques ou de la rareté de centres d’entretien qualifiés sur l’aéronef.

Dans certains cas, un avion peut ne plus répondre aux normes de bruit ou de pollution et avoir des difficultés à obtenir des autorisations de survols et d’atterrissages de certains territoires, situation bien gênante s’il en est pour un moyen de déplacement d’une haute personnalité.

L’argument du plus faible niveau de consommation de carburant peut atteindre ses limites parce qu’il est possible de remotoriser certains avions avec des réacteurs plus modernes caractérisés par moins de consommation et d’émission de gaz polluants et moins bruyants.

En fait, lorsque vous commandez un avion et qu’il vous est livré rapidement, c’est parce qu’il y a eu désistement ou défaillance du commanditaire initial.

Il a été dit que l’ancien président avait décidé de ne plus utiliser le B727 à cause de l’incident lors duquel l’équipage avait effectué une descente et un atterrissage d’urgence suite à un début de dépressurisation due à la fissuration d’un hublot de l’appareil. L’équipage tout aussi bien que l’avion avait bien réagi, tout comme les services de la sécurité aérienne. Tout cela aurait dû rassurer. Mais tel n’a pas été le cas.

L’équipage et l’avion se sont bien comportés en situation d’urgence, montrant ainsi leur fiabilité, ce qui aurait dû pousser à leur conservation.  Malheureusement, des éléments psychologiques ont conduit à une option techniquement moins sûre (voir supra).

Le problème de l’aviation civile au Sénégal est que beaucoup d’individus ayant un niveau élémentaire en aéronautique ou même  étrangers au domaine  s’expriment dans les médias en se présentant comme spécialistes en la matière ; d’autres, spécialisés dans des branches de l’aéronautique autres (météorologie, bases aériennes, sécurité de la navigation aérienne, radio-télécommunications ….) que l’exploitation technique des aéronefs, s’aventurent dans ce domaine en risquant d’émettre des opinions éloignées des réalités techniques.

En conclusion, si l’avion était arrivé en fin de potentiel et qu’il devait subir une grande visite (GV), sa valeur résiduelle pouvait être relativement basse. Exécuter une grande visite à un coût souvent très élevé n’était peut-être pas la meilleure option.  Dans une telle situation, il n’est illogique d’opter pour l’acquisition d’une machine neuve et plus moderne.

Comme je l’avais dit dans un article sur l’épidémie de la Covid-19 et la relance du transport aérien intérieur et sous-régional, la crise actuelle peut être une opportunité de s’équiper à moindre coût tout aussi bien pour les compagnies aériennes que pour les usagers particuliers comme les propriétaires des flottes des hautes personnalités.

Le prix d’un avion aménagé pour une haute personnalité comme un président est beaucoup plus élevé que celui affiché dans le catalogue.

Je pense qu’un Falcon de Dassault Aviation est largement suffisant pour cette fonction, du moins pour les courtes et moyennes distances.  De plus, ce triréacteur est plus sûr que ces biréacteurs avec des moteurs sous les ailes.

Le Falcon est une production sur le long terme et ne connaît pas de problème de pièces de rechange ou de disponibilité d’ateliers de maintenance. Il a aussi un bon rayon d’action.

Je trouve aussi qu’il n’est guère prudent d’avoir une chambre à coucher dans un avion. Si l’avion est pris dans une rafale descente (trou d’air), ceux qui ne sont pas attachés peuvent se retrouver au plafond et chuter brutalement par la suite.

Après toutes ces considérations, il faut retenir que donner un avis sur cette question du remplacement de l’avion de commandement est aventureux si on ne dispose pas des informations aussi essentielles que :

– Le potentiel restant avant la Grande Visite

– La disponibilité des pièces de rechange

– L’existence d’ateliers qualifiés sur l’ancien avion à des coûts de maintenance raisonnables

– Le coût de la qualification des équipages sur la nouvelle machine et des personnels de maintenance.

– Le coût des systèmes des protections actives et passives et des communications des officiels à bord

– le coût des aménagements spécifiques de la cabine

– la consommation de carburant ramenée au siège kilomètre parcouru

– la charge utile en fonction de la distance parcourue

– les distances de décollage en fonction de la masse maximum de l’avion

– Les performances de l’avion en cas de panne d’un moteur

– les éventuelles facilités pour les paiements lors de l’acquisition.

Observons enfin que les acquéreurs d’aéronefs civils sont actuellement en position de force face aux avionneurs lesquels ont sur les bras des avions objets d’annulations de commandes par les compagnies aériennes prises dans la tourmente de la Covid-19.

C’est un avantage qui aurait pu être exploité.

Ababacar Sadikhe DIAGNE Ingénieur diplômé :

– de l’Ecole Nationale de l’Aviation Civile (ENAC) Toulouse France et

– du Massachusetts Institute of Technology (MIT)Cambridge USA