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Benno : Rester ou partir ?

Benno 2024

Perdre ensemble

Chaque formation est devenue un poids mort pour les autres de la coalition Benno Bokk Yakaar ; les élections de 2022 invitent les partenaires à marcher désormais séparément pour mieux frapper demain. Benno est en danger pour la Présidentielle 2024.

Si, au début des années 80, il fallait frapper ensemble et marcher séparément avec Landing Savané, le ramollissement cérébral des années 90 imposait de rester ensemble, dans un souci de protection contre les tyrannies ; ainsi, en 2012 avec les grandes cohabitations encore en latence, il fallait gagner ensemble pour gérer ensemble.

Aujourd’hui, avec les résultats étriqués de janvier et de juillet, chaque formation pense plus à elle-même qu’aux autres. Et ceci d’autant que la cohabitation n’a pas toujours été de tout repos : l’Alliance pour la République a toujours rejeté les autres qui, eux-mêmes, s’entredéchirent à l’interne, comme le Parti socialiste avec Serigne Mbaye Thiam en novembre 2021 et 2022, et l’Alliance des Forces de Progrès de Moustapha Niass qui part sans partir. Au demeurant, chacune  des formations majors de la coalition Benno Bokk Yakaar a désigné son futur champion en excluant les autres (Macky Sall pour l’Apr) ou en remettant l’antienne avec le disque rayé d’un candidature socialiste ; à l’Afp, Niass prend les devants en s’alignant sur…Macky Sall non encore officiellement candidat en renvoyant tout le monde aux calendes grecques.
La dernière alerte, celle de trop, est arrivée le 31 juillet, lors des Législatives, après des signes apparus depuis la dernière Présidentielle de 2019 et l‘émergence de nouvelles réalités politiques : une société déboussolée et martyrisée dans sa gestion du temps et de l’espace a versé dans une intolérance réceptive aux marchands d’illusion qui ont d’autant voulu tirer profit d’une situation de malaise, de pandémie et de privations que le pouvoir a fauté dans sa compréhension de la démocratie.
Avec 82 députés (1.518.137 voix), la coalition Benno sanctionnée a ainsi moins de voix que l’inter-coalition Yewwi Askan Wi-Wallu au vote populaire (1.542.965 voix à l’échelle des 46 départements et la Diaspora, d’après les chiffres de la commission de recensement) ; en 2012 et 2017, la coalition au pouvoir avait dépassé largement les 83 sièges requis pour avoir une majorité absolue. En jouant sur les sensibilités marron-beige à l’étroit et qui se sont fait adopter ailleurs, Macky Sall se disait même majoritaire absolu avec 85 pour cent du vote.
Me Wade a vécu la même situation en 2002 entre Moustapha Niass et Ousmane Tanor Dieng qui avait sa préférence pour le poste jamais décerné de leader de l’opposition : le Parti socialiste avait devancé l’Alliance des Forces de Progrès en nombre de voix mais avait un siège de moins à l’Assemblée nationale, avec le nouveau découpage de l’époque ; la part incongrue des Socialistes (5 sièges) et des Progressistes (un seul) est une source de polémiques sur ces boulets qui coûtent plus qu’ils ne rapportent. Et puisque la formation du président n’a jamais caché son aversion pour les alliés, la polémique est aussitôt repartie : la coalition « Macky 2012 » est revenue à la charge, elle qui avait été à l’origine de la victoire de 2012 avec ses 5 pour cent ajoutés aux 15 points qui avaient permis de doubler Niass (15) et Tanor réunis ; des secousses ont également eu lieu chez les Socialistes qui remettent sur le tapis la nécessité d’une candidature propre pour 2024 alors que Moustapha Niass lui-même vient de renvoyer la meute à un congrès dont la date n’est pas encore retenue et rappelle qu’au moins 50 prétendants sonnent à la porte, prétexte pour se hâter lentement vers un congrès qui désignerait le nouveau secrétaire général.
En chutant lourdement, la coalition du président Macky Sall passe d’une majorité confortable (125 députés) à une minorité sauvée par une transhumance (82, sur 165), suivant une érosion que tout laissait entrevoir et qui pourrait être fatale pour la Présidentielle de 2024. Minoritaire, Macky Sall devient dangereux pour lui-même et pour le pays, lui qui avait déjà décrété tolérance zéro à son arrivée ; les récentes secousses dans le paysage sénégalais renforcent le pessimisme de beaucoup d’analystes qui s’inquiètent depuis un an devant les convoitises du Sénégal du gaz et du pétrole.

Or, les tendances actuelles pourraient être favorables au candidat de l’Apr, quel qu’il soit, mais dans une perspective d’individualités qui pourrait voir émerger un homme de circonstance, comme en 2012. Yewwi Aski, Pastef et Wallu du Parti démocratique sénégalais semblent avoir compris la nécessité de la course en solitaire devant un électorat dubitatif face aux coalitions qu’il consacre du bout des lèvres, c’est-à-dire en leur refusant toute majorité qui en ferait des potentats. Et apparemment avec raison devant ce débat rédhibitoire sur la double casquette.

P. MBODJE