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La Ligne du Devoir

40 morts et 250 blessés le Premier décembre 1963, 12 décédés et 400 blessés en mars 2021 Par Pathé MBODJE

Tensions politiques au Sénégal

Mourir pour ses idées

Mourir pour se nourrir

La faim des idéologies

Quarante militants sont morts le Premier décembre 1963, tombés sous les tirs de l’Armée que Senghor appelle « les forces de sécurité » ;  de même, 250 blessés seront dénombrés. Cette catastrophe des aubes de l’indépendance est sans précédent, sauf sous la coloniale, dont la plus notable est la répression sanglante 29 mars 1947 à Madagascar  entrainera la mort violente de 30.000 à 90.000 Nègres.

Aujourd’hui, les organisations de défense des droits de la personne humaine ont dénombré une douzaine de morts lors des événements de mars dernier et 400 blessés, alors que le décompte officiel est encore en cours.

Sauf sous Senghor culturel où l’on mourait pour l’esprit, Abdou Diouf, Wade et Macky Sall sont en butte à l’ingratitude du ventre affamé ne se contentant plus des gargouillis sans fin.

Les crises politiques à venir n’entraineront peut-être plus autant de victimes qu’entre 1963 et 2021 au Sénégal, toutes proportions gardées ; certes, puisque la pauvreté s’accentue et que les populations auront de plus en plus faim, on peut craindre qu’elles ne meurent pour se nourrir et  on se bat désormais plus parce qu’on a faim que pour ses idées. La grande période du Parti du Rassemblement africain a démontré la détermination idéologique des combattants de naguère : aux élections couplées Législatives-Présidentielle du Premier décembre, les premières du nouvel Etat indépendant sénégalais, les affrontements entraineront la mort de quarante militants, principalement de l’opposition. Senghor affirmera par la suite que l’opposition avait déclenché les hostilités et que l’Armée, en « légitime défense », a été obligée d’ouvrir le feu.

Presque cinquante ans après, rebelote : des tensions politiques entraînent en mars 2021 une douzaine de morts et près de 400 blessés ; cette fois-ci, l’Armée n’est pas en cause, tout au plus les agents du maintien de l’ordre. Et d’autres forces obscures non encore identifiées. Le vandalisme économique relève plus des émeutes de la faim que des raisons idéologiques, même si elles peuvent sous-tendre la lutte des populations aujourd’hui pour plus de respect à une Loi fondamentale que le pouvoir peut chercher à contourner en se lançant dans certaines opérations insupportables pour les populations.

Il n’est pas hasard que des enquêtes auprès des ménages et familles (Esam) et autres aient commencé comme réponse au Programme d’ajustement structurel  et autres de Abdou Diouf qui avouera récemment en avoir souffert (Senego, Premier décembre 2014). Tous en ont pâti, et pas seulement un peu : les Libéraux ont été vaincus par le même parti qui a eu raison des Socialistes : le parti de la demande sociale, dérision pour Me Wade et son parti démocratique sénégalais,  et Macky Sall dont le programme Sénégal émergent est une mixture bâtarde du document stratégique de réduction de la pauvreté (Drsp), de ceux de la  stratégie nationale de développement économique et social (Sndes), de la stratégie de croissance accélérée (Sca) et de « Vision prospective Sénégal 2035 » de la haute administration, le tout  mâtiné à la sauce Yoonu yokuté.

La photo n’a pas jauni. Une enquête sur les priorités (ESP) et sur les activités des ménages (ESAM) fait apparaître que 30% des ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté considéré comme la dépense nécessaire à l’acquisition de 2.400 calories/jour et par personne dans le ménage. En se basant sur cet indicateur, l’enquête concluait que 75% des ménages pauvres sont localisés en milieu rural et que 58% des ménages ruraux sont pauvres (République du Sénégal, Ministère des Finances, Direction de la Statistique, 1991).

La pauvreté a également eu pour conséquence une responsabilisation plus accrue des femmes qui ont marqué une présence plus prononcée sur la scène économique lorsque le chef de famille perd ce qui faisait la source principale de son autorité : l’argent. Ainsi, sur une population majoritairement féminine (4.123.759 contre 3.760.498 hommes), les 777.931 chefs de ménage comprennent désormais 20% de femmes (Esam, 1991).

Trente ans après, «  l’enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages (Ehcvm), menée par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd), en collaboration avec la Banque mondiale et l’Uemoa, fait ressortir une incidence de pauvreté monétaire à hauteur de 32,6 % au Sénégal. Selon ladite enquête, l’incidence de la pauvreté individuelle au Sénégal est de 37,8% ». (Lejecos, Lundi 27 Juillet 2020) ; le taux est resté constant depuis les années 90 marquées également par les cohortes de chômeurs déversées dans la rue avec le dégraissement de l’administration, la restructuration bancaire, les départs volontaires mal négociés et peu réussis. L’apport de la Diaspora qui permettait de faire bouillir la marmite (40%) fait désormais défaut après un an de pandémie à la Covid-19 et la réduction géographique des moyens de débrouille quotidienne. Dans ces conditions, il faut comprendre l’opportunité des tensions politiques pour faire sortir les populations.