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3ème mandat, faux débat, vraie pub: Taisez-vous, au travail ! Dossier réalisé par notre correspondant à Matam, Habib KA

Le flou artistique du « ni ni » entretenu par le président de la République autour de sa présence à la tête du Sénégal s’achève dans la position tranchée de courageux constitutionnalistes du « ni oui ni non » et le combat d’arrière-garde d’une faible opposition.

Autant dire que le débat est plus un coup de pub de Macky Sall en retard de popularité et qui peine à imposer le silence qui aurait permis de consacrer les énergies au travail pour améliorer les conditions de vie des populations.

Face à la presse le 31 décembre 2019, le chef de l’État Macky Sall, prié de répondre à une question précise du journaliste Babacar Fall de la TFM, a réactivé le débat sur le 3ème mandat :

-Serez-vous candidat pour la présidentielle de 202 oui ou non ?

Sa réponse est des plus évasives, contradictoire, à la limite à ses premières déclarations d’intention, contradictoire aussi à celles de l’ancien ministre de la justice Ismaïla Madior Fall, rédacteur du projet.

Ainsi parlait le président Macky Sall, candidat à la présidentielle de février 2019 : “C’est moi qui ai écrit la Constitution. Quand on a ramené le mandat de 7 ans à 5 ans, j’ai dit que le mandat est renouvelable une fois” et la clause “nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs” a, selon le chef de l’État, “pour but de clore ce débat sur la limitation du nombre de mandats”. Et d’en rajouter : “Si je suis réélu, je fais un deuxième mandat de 5 ans. Cela fera 7 plus 5”, se désolant de ne pas comprendre “ce débat sur le nombre de mandats, malgré toutes ses clauses”, avant de terminer, plus explicite, par un “il faudra partir (. . .). C’est çà l’option fondamentale. C’est ça la Constitution, c’est moi qui l’ai proposée”.

Le professeur Ismaïla Madior Fall, constitutionnaliste, ministre, conseiller juridique du président de la République, puis ministre de la Justice est en phase avec son chef sur la question du 3ème mandat quand il clarifie que “la révision de la Constitution est claire. Cela veut dire que la question du troisième mandat ne se posera plus dans l’histoire du Sénégal. La constitution ne laisse place à aucune interprétation : nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ”, et d’ajouter : “Je me rends compte que les gens ne lisent pas les textes. Si les gens continuent à dire qu’il est possible que le président fasse un troisième mandat, je me dis qu’on n’a pas lu les textes, notamment l’article 27 qui dit très clairement que «nul ne peut avoir plus de deux mandats  consécutifs».

Tel était le condensé de la réponse du chef de l’État le lundi 31 décembre 2019, à la question du journaliste Babacar Fall de la TFM après son discours du nouvel an à la Nation.

Que disait Seydou Guèye, ministre, porte parole du gouvernement ?

‘’C’est son dernier mandat ! Puisque nous sommes partis sur une révision de la Constitution qui a été une révision consolidante‘’ ;  selon toujours Seydou Guèye, ‘’il n’y a pas besoin d’être péremptoire sur la question : il faut s’en référer à la Constitution. Si vous lisez la Constitution, vous vous rendrez compte que les marges de manœuvre pour interpréter sont très minces, pratiquement inexistantes’’. Et d’ajouter encore : ‘’Le problème qu’on avait connu par le passé, le président Macky Sall y a apporté une réponse en limitant le nombre de mandats, en fixant la durée du mandat du président de la République et en verrouillant un peu la Constitution pour que ces dispositions relatives à l’élection du président de la République soient pratiquement intangibles”.

Impossible n’est pas sénégalais

Pour le constitutionnaliste Mounirou Sy, membre de la mouvance présidentielle, “un 3ème mandat pour Macky Sall est impossible”. Le chef de l’Etat avait manifesté la volonté de ne pas faire trois mandats. C’est Macky Sall en personne qui est visé et non le 3e mandat, tente-t-il d’expliquer et de poursuivre, “son cas est différent de celui de Wade en 2011. Il n’a pas encore fini son premier mandat. Il est encore en cours. Donc on n’est pas encore au 2e mandat pour parler du 3e mandat. Avec Wade c’était affirmatif et actuellement c’est négatif. C’est-à-dire la disposition est négative. En 2011 on visait le président et actuellement on vise la personne. C’est là où se trouve le problème”, et de préciser que c’est le président lui-même qui voulait mettre fin une bonne fois pour toutes à cet imbroglio juridique. Comprenne qui pourra.

Maître El Hadj Diouf, président du Parti des Travailleurs et du Peuple (PTP) : “Macky Sall ne fera pas un troisième mandat”, rappelant que le président avait livré à la presse le 31 décembre : “J’ai fini un mandat et je ferai un deuxième et dernier mandat si les Sénégalais me font confiance en 2019”, conclut-il, “Macky Sall ne fera pas un troisième mandat”, arguant qu’il n’a pas été dit que “nul ne peut faire plus de deux mandats de 5 ans consécutifs”. Pour lui quand on écrit dans la Constitution que “nul ne peut obtenir plus de deux mandats consécutifs”, on se réfère au nombre de mandats et non à leur durée. El Hadj Diouf est catégorique, le président Macky Sall est à son deuxième et dernier mandat.

Tout ceci pour dire que le 3ème mandat avant le discours à la Nation le 31 décembre du chef de l’État s’avérait inconcevable, impossible.

MACKY SALL CANDIDAT EN 2024 ?

Pour échapper à la fatidique sanction des urnes, le président de la république avait émis le souhait d’être réélu puis de passer le flambeau.

Un an après prié de répondre à la question du journaliste Boubacar Fall de la Télévision Futurs Média (TFM), s’il va se présenter pour les prochaines échéances prévues en 2024, le président de la République botta en touche, préférant esquiver la question par un “ni oui, ni non” prolixe

La réponse du président nouvellement réélu est des plus évasives, des plus vagues, un miroir aux alouettes accroché à un “je ne dirais ni oui, ni non”, tout aussi flou, hypothétique. Le président veut faire accepter à ses concitoyens son dilemme, pris qu’il est, dans l’étau d’un entourage proche pressé de lui succéder et des manifestants prêts à s’incruster dans la moindre brèche qu’offrirait son relâchement au jeu politique et à certaines mesures coercitives érigées en règle contre eux jusqu’ici.

Ses arguments : “Si je dis que je ne serai pas candidat, les membres du gouvernement ne vont plus travailler, chacun va essayer de se positionner ; si je dis que je serai candidat, une vive polémique va s’en suivre”.

Et de poursuivre : “Si je dis que je ne suis plus candidat, les membres du gouvernement ne vont plus travailler. On dira que le président va partir, chacun va essayer de se positionner en démarchant des gens. Il n’y aura plus de travail. Ça n’a pas d’intérêt ; si je dis que je suis plus candidat, les marches vont s’accélérer et une vive polémique va s’en suivre”.

Quoi qu’il arrive, cette nouvelle sortie du président de la République nettement en déphasage avec sa posture d’avant sa réélection en février 2019 laisse comprendre que le chef de l’État est dans un autre schéma de pensée et d’action, une autre disposition pour se repositionner au cœur du dispositif politique, électoral, reprendre très sérieusement les choses en main et rester le maître incontestable et incontesté du grand jeu.

Comme le dit l’expression peulh “quand le sage amorce la parole, l’autre aussi sage, comprend le non-dit”.

C’était déjà suffisant comme réponse : l’ambiguïté mal dissimulée. D’ailleurs les Sénégalais avertis ne pouvaient pas s’attendre à ce que Macky Sall ne se présentât pas : l’enchainement fast trackisé du Dialogue politique, les ralliements et transhumance tous azimuts qui s’en suivirent sont entrain de prouver tout le reste.

Désormais, Macky Sall est doublement au cœur de la mêlée, ès-qualité juge et partie. Il reste ce qu’il a toujours été depuis 2012, maître de cérémonie, maître de jeu. Si la personne du président de la République, mieux son statut de chef de l’Exécutif peut authentifier par son oui ou par son non sa candidature à une prochaine compétition électorale, cela confirme simplement un fait malheureux, celui de la fragilité des institutions républicaines, par le flou volontairement entretenu sur les lois, les fréquentes convocations de révisions de la charte fondamentale pour formaliser la volonté du chef.

Et quand l’interprétation d’un texte de loi fraîchement élaboré, voté et adopté par voie référendaire reste aussi élastique aussi confus pour son concepteur, son rédacteur, le citoyen qui l’a validé de son propre gré sait qu’il faut, en dernier recours, faire une saisine du Conseil constitutionnel et rester suspendu à la décision de celui-ci ;  c’est qu’il reste encore un long chemin encore à parcourir pour tendre vers la démocratie, le progrès, la cohésion nationale, l’État de droit.

Tout le contraire des pays de démocratie comme les États-Unis, la France, la Grande Bretagne ou tout est normé, paramétré.

Le président est allé jusqu’à imposer à ses partisans de faire l’omerta sur le 3ème mandat, de s’interdire tout commentaire là-dessus, quitte à subir ses représailles.

Des membres influents de l’Alliance pour la République (APR) et de Bennoo Bokk Yaakaar (BBY) ont fait les frais de leurs “insoumissions”, limogés illico presto de leur poste de responsabilité dans l’administration et/ou le parti : Sory Kaba, directeur des Sénégalais de l’Extérieur, Moustapha Diakhaté, ministre conseiller du président de la République, maître Moussa Diop, directeur général de Dakar Dem Dikk (DDD), ainsi que tous ses proches et fidèles ministres remerciés le jour du fameux remaniement de la Toussaint.

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