GMT Pile à l'heure

La Ligne du Devoir

2024, le temps du doute

Macky Sall candidat 2024

Jouer sur l’incertitude

L’incertitude plane encore sur la candidature de Macky Sall à la présidentielle de 2024, malgré les apparences et faute d’une bonne lecture des faits sociaux depuis 2016. Certes, l’environnement marron-beige n’en démord pas qui en fait l’unique sans envisager le contraire mais certains aspects dirimants invitent à plus de sagesse, qui ont achevé la fin d’un cycle observé il y près de dix ans avec la disparition des derniers dinosaures politiques.

La principale inconnue demeure l’avenir de Ousmane Sonko, symbole d’une société bouleversée, avec les réserves émises par les partenaires au développement et, aussi, certains lanceurs d’alertes qui jouent aux Cassandre…au nom des Droits de l’Homme qui l’emporteraient sur les droits de la personne humaine : au nom de la paix, ils préconisent de passer pour pertes et profits les intérêts de particuliers bafoués par les acteurs politiques.

L’Occident, la France en particulier, n’apprécie pas une candidature de Macky Sall pour la Présidentielle de 2024. C’est le président de la République lui-même qui le laisse entendre dans son entretien avec le journal français L’Express du 20 mars dernier largement repris par la presse locale.

Rattrapé par hier,  Macky Sall joue dans le flou artistique qui est une réserve que se donnerait  le chef de l’État : s’il s’estime bien que de droit, il emprunte une voie vers une incertitude méthodologique qui a toujours été officiellement sa position publique.

C’est qu’il est face à des adversaires de poids. L’Alliance pour la République, sa propre formation, en est le principal qui lui a cherché un successeur dès le 24 février 2019 ; les purges n’y feront rien, malgré les tentatives du chef de parti de renforcer son assise par une mutualisation des efforts avec d’autres formations. Les Locales du 24 janvier et les Législatives du 31 juillet 2022 ont fait sombrer toute illusion vers un futur contrarié sur le plan politique et sur le plan socio-économique par une pandémie qui appauvrit plus des populations sous ajustement depuis les années 80.

Surtout que les années 2000 semblent coïncider avec la fin d’un cycle politique, celui des partis traditionnels (Parti socialiste, Parti démocratique sénégalais, Ligue Démocratique, Parti de l’Indépendance et du Travail, si cela  vous dit encore quelque chose), et l’émergence de formations nouvelles sans racines ni légitimité historique  en conquête du pouvoir en seulement très peu de temps, donc sans perspectives du lendemain. Ainsi, la France est bloquée avec les années arc-en-ciel Macron avec ses Gilets jaunes du début et les manifestations anti-Retraites de mars 2023 ; au Sénégal, le solidarisme durkheimien donne  Macky Sall (2008-2012). Le syndrome Morsi se vérifie cependant très rapidement quand celui qui rit vendredi pleure dimanche et remet en cause son vote.

Une analyse fine de la majorité acquise par l’Apr pour la première fois en 2016 était une invite à se concentrer sur soi-même devant le péril jeune avec l’affaire Ousmane Sonko élu député au forceps en pleine tempête vers la présidentielle de 2019 ; le challenger s’est mis en perspective mais en appréciant mal ce succès soudain, message d’une jeunesse et d’une société délitées.

Les sociétés en crise forgent le caractère de populations rudes, ultra, adeptes du « Tout sauf… » ; l’Iran,  l’Équateur, le Liban, l’Irak, le Chili, Hong Kong accompagnent dès 2019 le Sénégal de Macky Sall dont le second mandat est phagocyté par la pandémie de la Covid-19 et une résilience qui réduisent l’espace social limité à une promiscuité source de frictions au sein des familles. La moindre étincelle met le feu aux poudres quand éclate l’affaire Adji Sarr et l’appel d’air des populations confinées et affamées : le sacrifice impulsif de la jeunesse ressemble fort à ces vagues d’émigration sans espoir de retour.

La gestion démocratique de cette crise majeure avec les pertes de forces vives explique l’anxiété de ceux qui veulent conjurer la malédiction du pétrole avec des alternatives non programmatiques rappelant plus les tendances et clans au sein d’une même famille désunie que des formations projetées dans le futur : l’incertitude devient une préférence et une idéologie dominante faute de recul devant la gestion d’un quotidien brulant ; Rockefeller avait créé dans les années 70 la Trilatérale pour proposer une solution d’intégration ou d’exclusion. 

Cette situation explique les quelques hésitations de pans de la société devant un choix qui n’est plus celui de 2012 quand les populations identifient leur héros et décident de le consacrer, quitte à créer ce qui semble être la surprise du chef avec Macky Sall. L’appel itératif mais encore  tardif à la jeunesse, le 3 avril dernier, se comprend comme une dernière carte à jouer quand on manque de temps et qu’on bluffe : Macky Sall hésite et, tout en se réservant un doute plus politique que constitutionnel, il n’en envisage pas moins une alternative à Macky Sall. 

P. MBODJE